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Le « Bénéficiaire Effectif », à déclarer au plus tard le 1er avril 2018

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Conformément à la directive européenne 2015/849/UE du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, les articles L. 561-46 à L. 561-50 et R. 561-55 et suivants du Code monétaire et financier (ci-après « CMF ») issus de l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 et de son décret d’application n° 2017-1094 du 12 juin 2017 obligent les sociétés non cotées et d’autres entités juridiques à déposer au Registre du commerce et des sociétés (ci-après « RCS ») auprès duquel elles sont immatriculées un document identifiant leur(s) « bénéficiaire(s) effectif(s) », à charge pour ces sociétés « d’obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs ». Le registre des bénéficiaires effectifs ainsi créé constitue une annexe au RCS.

Cette nouvelle obligation est assortie de sanctions à la fois civiles et pénales, qui peuvent s’appliquer aussi bien aux personnes physiques qu’aux personnes morales ; elle ne peut donc être ignorée par les dirigeants et associés des sociétés et entités juridiques concernées.

Sociétés et entités juridiques concernées

Par renvoi de l’article L. 561-46, alinéa 1 CMF aux 2°, 3° et 5° de l’article L. 123-1 du Code de commerce, sont visés par l’obligation de déclarer leur(s) « bénéficiaire(s) effectif(s) » :

  • les sociétés commerciales non cotées ayant leur siège social en France (y compris les sociétés civiles et les sociétés de famille, et ce même si leur capital n’est détenu que par des personnes physiques déjà déclarées au RCS, en tant qu’associées)
  • les sociétés commerciales dont le siège est situé hors d’un département français et qui ont un établissement secondaire immatriculé en France, ou devant l’être
  • les groupements d’intérêt économique ayant leur siège dans un département français
  • et toute autre personne morale dont l’immatriculation au RCS est prévue par des dispositions légales ou réglementaires.

La société ou l’entité juridique concernée est tenue d’obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur son/ses « bénéficiaire(s) effectif(s) ». Cette double obligation peut toutefois présenter des difficultés, notamment dans le cas de chaînes de sociétés (qui ne sont pas sans entraîner une certaine opacité) ou lorsque le déclarant se trouve à un échelon inférieur et n’est pas nécessairement informé à temps des changements ayant eu lieu au sein de la société ou de l’entité juridique qui contrôle in fine la société qu’il représente, ou bien encore quand il ne sait pas que la personne qu’il pense être le bénéficiaire effectif est en réalité un fiduciaire.

Définition du « bénéficiaire effectif »

En vertu de l’article R. 561-1 CMF (par renvoi de l’article R. 561-56 CMF), qui exige que le document à déposer au RCS précise les modalités selon lesquelles le(s) « bénéficiaire(s) effectif(s) » exerce(nt) un contrôle sur la société ou l’entité juridique immatriculée, le(s) « bénéficiaire(s) effectif(s) » à déclarer est/sont la ou les personne(s) physique(s) :

  • détenant, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital de la société
  • ou détenant, directement ou indirectement, plus de 25 % des droits de vote de la société
  • ou, à défaut de répondre aux deux premiers critères, exerçant, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société ou sur l’assemblée générale de ses associés. Le cas échéant, si plusieurs personnes physiques répondent à cette définition, elles doivent toutes être déclarées au greffe.

Les deux premiers critères sont conformes à l’article 3.6 a) (i) de la directive 2015/849/UE du 20 mai 2015. S’agissant du troisième critère, il n’est pas sans poser problème : nous ne voyons tout d’abord pas quelle différence peut exister entre organe de gestion et organe de direction. Surtout, ce troisième critère ne précise pas comment doit se comprendre le « pouvoir de contrôle » en question. Toutefois, l’article 3.6 a) (i) de la directive 2015/849/UE du 20 mai 2015 apporte la réponse en indiquant que ce contrôle peut notamment être établi conformément aux critères énoncés à l’article 22, paragraphes 1 à 5, de la directive 2013/34/UE, qui se rapportent à l’établissement des comptes consolidés, à savoir le droit de nommer ou de révoquer la majorité de l’organe d’administration, de gestion ou de surveillance ou le droit d’exercer une influence déterminante sur une filiale en vertu d’un contrat conclu avec elle ou de clauses statutaires.

En outre, l’article R. 561-56 CMF, en ce qu’il se borne à renvoyer à l’article R. 561-1 CMF, omet de prévoir, comme le fait l’article 3.6 a) (ii) de la directive 2015/849/UE du 20 mai 2015, la possibilité de désigner le(s) représentant(s) légal/légaux de la société déclarante comme « bénéficiaire(s) effectif(s) » lorsque cette dernière est dans l’incapacité d’identifier celui-ci/ceux-ci « après avoir épuisé tous les moyens possibles » pour ce faire. De fait, le formulaire à remplir fourni par de nombreux greffes des tribunaux prévoit déjà cette hypothèse, tout comme le droit allemand, qui l’envisage explicitement à l’alinéa 3 de l’article 1 de la première section de sa loi du 23 juin 2017 (transposant en droit allemand la directive 2015/849/UE).

Date d’entrée en vigueur : du 1er août 2017 au 1er avril 2018

Les sociétés constituées depuis le 1er août 2017 doivent déclarer leur(s) « bénéficiaire(s) effectif(s) » au moment de leur demande d’immatriculation ou au plus tard dans un délai de 15 jours à compter de la délivrance de récépissé de dépôt de dossier de création d’entreprise.

Les sociétés immatriculées avant cette date ont jusqu’au 1er avril 2018 pour déclarer leur(s) « bénéficiaire(s) effectif(s) ».

En outre, les sociétés doivent actualiser leur déclaration dans les 30 jours de tous faits ou actes rendant nécessaire la rectification des informations.

Cette obligation met donc à la charge du représentant légal de la société une obligation de veille des changements pouvant conduire à désigner un nouveau « bénéficiaire effectif ».

Modalités de déclaration

La déclaration doit être déposée au greffe du tribunal de commerce du siège de la société par le représentant légal de la société.

Pour chaque « bénéficiaire effectif », un document doit être rempli, qui précise l’identité de ce dernier, les modalités du contrôle qu’il exerce et la date à laquelle il est devenu « bénéficiaire effectif » de la société (articles L. 561-46, alinéa 2 et R. 561-56 CMF).

Consultation du registre des bénéficiaires effectifs

A priori, le principe de confidentialité prévaut, puisque l’article L. 561-46 CMF énumère de façon expresse les personnes habilitées à consulter le document relatif au(x) bénéficiaire(s) effectif(s) ; par ailleurs, l’article R. 561-57 CMF entre plus avant dans les détails et liste 18 catégories de personnes pouvant avoir accès à ce document (telles que les magistrats, les agents de la cellule de renseignement financier national…). On peut en outre penser que la décision n°2016-591 QPC du 21 octobre 2016 du Conseil constitutionnel relative à l’article 1649 AB du Code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, serait également applicable en ce qui concerne la consultation des documents ayant trait au(x) «bénéficiaire(s) effectif(s)».

Cela étant, toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut, sur ordonnance rendue par le juge commis à la surveillance du RCS, également avoir accès aux informations relatives au(x) « bénéficiaire(s) effectif(s) ». Certes, l’article R. 561-59 CMF énonce, de façon détaillée, la procédure que doivent respecter les personnes alléguant d’un intérêt légitime en vue d’obtenir l’autorisation du juge commis à la surveillance du RCS auprès duquel est immatriculée la société ou l’entité juridique mentionnée au 1° de l’article L. 561-46 CMF afin d’accéder au document relatif au(x) « bénéficiaire(s) effectif(s) » d’une société donnée.

Cependant, cette autorisation relève du pouvoir souverain d’un juge unique, qui statue sur l’existence ou non de l’intérêt légitime allégué par le requérant. On peut s’interroger sur les possibles dérives de cette divulgation (même partielle) à toute personne intéressée d’informations potentiellement sensibles, notamment parce que des motifs peu avouables peuvent se cacher sous d’éventuels intérêts légitimes : salarié souhaitant obtenir des informations sur la personne qui contrôle la société qui l’emploie (ou l’a employé) ; société désirant se renseigner sur la situation d’un concurrent ; époux voulant évaluer les biens de sa moitié dans le cadre d’une procédure de divorce…

Il est intéressant de noter que, dans ce domaine, le droit allemand s’est montré beaucoup moins flexible que la législation française. En effet, l’alinéa 23 de l’article 4 de la première section de la loi du 23 juin 2017 dispose que pourront avoir accès aux documents relatifs au(x) « bénéficiaire(s) effectif(s) » d’une société ou d’une entité juridique donnée les autorités compétentes, mais aussi les personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour autant que ces personnes apportent la preuve que l’accès à de telles informations est nécessaire.

Surtout, si elle reprend elle aussi à son compte la notion d’ « intérêt légitime » apparaissant dans la directive 2015/849/UE du 20 mai 2015, cette disposition restreint sensiblement les informations auxquelles les tierces personnes en question pourront avoir accès, à savoir : le nom et le prénom du « bénéficiaire effectif » ; ses mois et année de naissance ; son pays de domiciliation ; la nature et l’étendue de son intérêt économique dans la société ou l’entité juridique concernée, et ce dans la mesure où ces informations ne seraient pas déjà accessibles autrement.

Enfin, la loi allemande du 23 juin 2017 précise que le « bénéficiaire effectif » peut demander une restriction, voire une interdiction, d’accès aux documents qui le concernent s’il apporte la preuve qu’une telle divulgation pourrait nuire à ses « intérêts protégeables ». Cette notion d’ « intérêts protégeables », qui trouve écho dans le domaine de la protection des données, est en revanche totalement absente du droit français en la matière.

Sanctions

D’office, ou sur requête du procureur de la République ou de toute personne justifiant y avoir intérêt, le président du tribunal peut enjoindre, éventuellement sous astreinte, à toute entité de procéder à la déclaration de son/ses « bénéficiaire(s) effectif(s) » (article L. 561-48 CMF), cette injonction ne pouvant faire l’objet d’un quelconque recours.

De plus, le fait de ne pas procéder à la déclaration au greffe ou de déposer des informations inexactes ou incomplètes peut être sanctionné pénalement par 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende (article L. 561-49 CMF). Cette sanction pénale peut viser tant les représentants légaux de la personne morale que la personne morale elle-même.

Par ailleurs, des sanctions additionnelles, ressortissant au droit pénal commun, peuvent également être prononcées à l’encontre des personnes (physiques ou morales) se soustrayant à l’obligation de déclaration du/des « bénéficiaire(s) effectif(s) » de la société ou de l’entité juridique concernée. Ainsi :

  • Les personnes physiques déclarées coupables de l’infraction prévue au premier alinéa de l’article L. 561-49 CMF encourent également les peines d’interdiction de gérer (prévue à l’article 131-27 du Code pénal) et de privation partielle des droits civils et civiques (prévue au 2° de l’article 131-26 du même code).
  • Les personnes morales déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues par l’article 121-2 du Code pénal, de l’infraction prévue au premier alinéa de l’article L. 561-49 CMF encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 du Code pénal (à savoir 37 500 euros), les peines prévues aux 1°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l’article 131-39 du même code (à savoir, entre autres : la dissolution ; le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ; l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus…).

Des sanctions lourdes, donc, qui ne sont pas à prendre à la légère.