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L’expertise judiciaire en France et en Allemagne n°2/2021

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Le principe du contradictoire en France – pas de nullité sans grief

La manière dont le principe du contradictoire est mis en œuvre dans le cadre de l’expertise judiciaire constitue une des différences essentielles dans le déroulement de ces expertises entre l’Allemagne et la France.

L’arrêt rendu par la 2e chambre civile de la Cour de Cassation le 23 janvier 2020 (n°19-10.584) illustre de nouveau l’une des spécificités de l’expertise judiciaire à la française.

Outre Rhin, la contradiction est principalement mise en œuvre après le dépôt du rapport d’expertise. Ainsi, les parties peuvent toujours demander que l’expert soit entendu lors d’une audience, afin de poser toutes les questions qu’elles jugent nécessaires à la compréhension de l’affaire (§§ 397, 402 du Code de procédure civile allemand, pour rappel voir BGH, 20.11.2019, VII ZR 204/17).

A l’inverse, l’expertise judiciaire en France impose à l’expert de respecter le contradictoire tout au long de ses investigations.

Il doit ainsi en principe :

  • convoquer les parties aux réunions d’expertise (article 160 du Code de procédure civile)
  • et répondre aux observations formulées par celles-ci (article 276 du même code).
  • La jurisprudence exige également que les parties aient connaissance de l’ensemble de la documentation que l’expert utilise pour son analyse et soient effectivement mises en mesure de donner leur avis, ainsi que le rappelle l’arrêt du 23 janvier 2020.

Le non-respect du contradictoire peut entraîner la nullité des opérations d’expertise (articles 175 CPC, pour une illustration voir Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 30 avril 2014, no 12-21.484).

Cette nullité répond cependant au régime des nullités de forme (article 114 du CPC) et ne peut être prononcée que si :

  • elle a été invoquée in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond et toute fin de non-recevoir (Civ. 1re, 30 avr. 2014 précitée) ;
  • le demandeur parvient à prouver que le non-respect du principe de la contradiction lui a causé un grief. Le grief s’entend généralement d’une désorganisation des droits de la défense, c’est-à-dire que le non-respect du contradictoire doit avoir empêché la partie qui l’invoque de faire valoir ses observations et de débattre contradictoirement des conclusions de l’expert (voir par exemple Cour de cassation, Chambre commerciale, 20 Septembre 2016 – n° 15-12.521).

C’est cette seconde condition que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt du 23 janvier 2020.

Dans l’espèce soumise à la Cour de Cassation, une expertise médicale devait permettre de déterminer la date de consolidation du dommage de la victime. Avant l’expertise, la caisse d’assurance maladie, partie au litige, avait transmis à l’expert un argumentaire exposant les raisons pour lesquelles la caisse avait retenu une certaine date de consolidation. Cet argumentaire n’avait pas été transmis à la victime, laquelle demandait donc l’annulation du rapport d’expertise. Cette demande d’annulation avait été refusée par la cour d’appel.

La Cour de cassation admet que l’absence de communication à une partie de l’argumentaire adressé à l’expert par l’autre partie constitue l’inobservation d’une formalité essentielle susceptible d’entrainer la nullité. Elle approuve cependant la cour d’appel d’avoir rejeté la demande de nullité, faute pour la victime d’avoir démontré le grief que lui avait causé l’irrégularité de la procédure d’expertise.

C’est la raison pour laquelle dans le cadre d’une expertise française, l’ensemble des parties – ou leurs conseils respectifs – doit être destinataire des communications de l’une d’elles avec l’expert judiciaire. Toutefois, le non-respect de la contradiction ne suffit pas en lui-même à faire annuler les opérations d’expertise. La demande de nullité devra être présentée in limine litis et détailler l’impossibilité pour la partie de faire valoir ses observations sur les éléments pris en compte par l’expert qui ne lui avaient pas été communiqués.

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