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Concurrence Distribution Consommation n°5/2019

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  Spécial Egalim : la suite

 

Longuement attendue, la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Loi Egalim », va désormais pouvoir être pleinement appliquée. Cette loi fait suite aux Etats Généraux de l’Alimentation lancés en juillet 2017 en réponse à la crise qu’a connue le secteur de l’agroalimentaire. En effet, un vaste travail de réforme a été entamé. Voici donc un bref aperçu de quelques réformes majeures des derniers décrets et ordonnances pris en application de la loi Egalim.

   • L’ordonnance n° 2019-358 du 24 avril 2019 : L’action en responsabilité pour prix abusivement bas

Présentée par le Ministre de l’Economie et des Finances le 25 avril dernier, cette ordonnance réforme l’action en responsabilité pour prix abusivement bas en application de l’article 17 de la loi Egalim. L’ancien dispositif de l’article L. 442-9 du Code de commerce prévoyait la possibilité, pour un fournisseur, de mener une action civile en réparation, engageant la responsabilité de son acheteur pour prix abusivement bas de manière très restreinte et limitait notamment ce recours à une situation de crise conjoncturelle. Lors des Etats Généraux sur l’alimentation, le constat était le suivant : en raison de l’extrême complexité de mise en application de l’ancien dispositif de l’article L. 442-9 du Code de commerce, celui-ci n’avait jamais été mis en œuvre. Cette nouvelle action en responsabilité pour prix abusivement bas s’inscrit dans la lignée de la réforme de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime prévoyant un régime général de contractualisation des ventes de denrées alimentaires et plus largement dans la volonté de renforcement de la contractualisation dans le secteur de l’agro-alimentaire. Elle élargit la faculté pour un fournisseur d’engager la responsabilité de son acheteur qui le contraindrait à des prix abusivement bas en permettant dorénavant l’intervention d’un juge en cas de « prix déconnectés de la réalité économique » tout en établissant un lien avec des indicateurs de prix, en particulier des indicateurs relatifs aux coûts de production. Cette ordonnance entrera en vigueur au 1er septembre 2019 pour les contrats en cours d’exécution.

   • L’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 : Relèvement du seuil de revente à perte et encadrement des promotions en valeur et en volume

Les mesures prévues par cette ordonnance sont instaurées à titre expérimental et seront donc appliquées pour une durée de deux ans, jusqu’au 1er octobre 2020, date à laquelle le Gouvernement est invité à remettre un rapport d’évaluation sur ces mesures. Quant aux mesures elles-mêmes, l’ordonnance prévoit d’une part le rehaussement de 10 % du seuil de revente à perte instaurant ainsi un coefficient de 1,10 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur. Ce nouveau seuil est applicable depuis le 1er février 2019. D’autre part, ce sont les promotions de ces mêmes produits qui sont désormais encadrées de manière plus stricte en ce que tout avantage promotionnel, qu’il soit immédiat ou différé, dès lors qu’il a pour effet de réduire le prix de vente au consommateur ne pourra pas excéder 34 % du prix de vente initial. Ce plafonnement est déjà entré en vigueur depuis le 1er janvier 2019. S’agissant de l’encadrement des promotions en volume, ces mêmes avantages promotionnels (cumulés s’il y a lieu) ne pourront porter que sur des produits ne représentant pas plus de 25 % en volume du chiffre d’affaires prévisionnel, du volume prévisionnel prévu par contrat et des engagements de volumes fixés par contrat. Sont exclus du champ d’application de ce plafonnement des promotions les denrées périssables et menacées d’altération rapide, à condition que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente. Cette ordonnance a pour vocation d’endiguer l’augmentation croissante des promotions en grandes et moyennes surfaces afin de permettre une meilleure protection du consommateur et une meilleure image des produits. Ainsi, tout manquement à ces nouvelles obligations est passible d’une amende administrative d’un montant pouvant aller jusqu’à 75.000 € pour les personnes physiques et jusqu’à 375.000 € (ou la moitié des dépenses de publicité effectuées au titre de l’avantage promotionnel) pour une personne morale.

   • Le décret n° 2019-308 du 11 avril 2019 : Habilitation des agents de la DGCCRF à contrôler la mise en œuvre de l’encadrement des promotions des denrées alimentaires

Le 25 mars 2019, au cours de la présentation du bilan de l’année 2018, la DGCCRF a annoncé qu’« en 2019, priorité sera donnée aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, et au contrôle du respect de la loi EGALIM, des contrôles préventifs ayant été lancés dès la période des négociations commerciales ». Ainsi, en s’inscrivant dans un contexte de renforcement des contrôles, ce décret qui fait suite à l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018, habilite désormais les agents de la DGCCRF à rechercher et à constater les manquements aux dispositions relatives à l’encadrement des promotions des denrées et certains produits alimentaires.

   • L’ordonnance n° 2019-363 du 24 avril 2019 : Extension des pouvoirs de police judiciaire aux agents du ministère de l’Agriculture et aux agents de concurrence

C’est dans le même contexte de renforcement des contrôles qu’est publiée cette ordonnance qui étend les pouvoirs de police judiciaire aux agents du Ministère de l’Agriculture (les agents chargés du contrôle de santé publique agronomique et vétérinaire) ainsi qu’aux agents de la concurrence. Ces agents voient leurs possibilités de recueillir des documents et des renseignements alignés sur les celles de l’article L. 512-10 du Code de la consommation. En outre, ces mêmes agents sont autorisés à conduire des auditions telles que prévues par l’article L. 172-8 du Code de l’environnement : l’audition est conduite sur convocation ou sur place et un procès-verbal doit être dressé à l’issue de l’audition et signé par la personne entendue. Elle permet également, dans certaines situations particulières, aux agents habilités de dévoiler leur identité uniquement lorsqu’ils informent la personne contrôlée de la constatation d’une infraction ou encore de faire usage d’une identité d’emprunt pour le contrôle de la vente de biens et de la fourniture de services sur internet. Les prérogatives des agents susmentionnés sont donc assez vastement élargies.

   • Le décret n° 2019-310 du 11 avril 2019 : Abrogation de l’obligation de contractualisation écrite des ventes de fruits et légumes frais

Faisant écho aux nouvelles dispositions de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime ayant instauré un régime général de contractualisation de vente de produits alimentaires, ce décret abolit l’obligation de contrat écrit pour la vente de fruits et légumes frais. Désormais, à l’instar des autres denrées alimentaires, la vente de fruits et légumes frais est soumise aux règles générales de contractualisation du nouvel article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime. Celle-ci peut toutefois être rendue obligatoire par décret du Conseil d’Etat ou notamment par accord interprofessionnel.

   • L’ordonnance n° 2019-361 du 24 avril 2019 : Indépendance des activités de conseil à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques

L’objectif de cette ordonnance est de rendre incompatible l’activité de distribution et d’application de produits phytosanitaires avec celle de conseil à l’utilisation de tels produits. Présentée par le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, l’ordonnance est prise en application de l’article 88 de la loi Egalim et entrera en vigueur en 1er janvier 2021. Au-delà de la séparation des activités précitées, l’ordonnance prévoit que les agriculteurs devront, sur une durée de cinq ans, se soumettre à deux reprises à un conseil stratégique. Cette obligation imposée aux agriculteurs s’inscrit dans la volonté du Gouvernement de réduction de produits phytosanitaires. Enfin, le dispositif de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), déjà défini par un arrêté en date du 9 mai 2017, a été consolidé. Ce dispositif prévoit des actions standardisées tendant à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Il figure désormais dans le Code rural et de la pêche maritime aux articles L. 254-10 à L. 254-10-9 ainsi qu’aux articles R. 254-31 à R. 254-39.

   • L’ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 : La coopération agricole

En vertu de l’article 11 de la loi Egalim cette ordonnance présentée par le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation réforme le Code rural et de la pêche maritime en faveur des coopératives agricoles afin de les faire bénéficier d’une meilleure information générale. Cette réforme a pour but de permettre une meilleure lisibilité aux associés-coopérateurs non seulement quant aux modalités de détermination du prix mais aussi de manière plus générale quant aux informations contenues dans les différents documents des coopératives. Dans ce contexte, l’ordonnance prévoit donc le renforcement du Haut Conseil de la Coopération Agricole en tant que garant du droit coopératif pouvant prononcer des sanctions graduées et dont le médiateur sera désormais nommé par décret afin d’en préserver l’indépendance. Ces nouvelles dispositions sont intégrées dans le Code rural et de la pêche maritime.

   • L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 : La refonte du Titre IV Livre IV du Code de commerce

Cette ordonnance est la plus large de toutes les ordonnances d’application de la loi Egalim. Elle a pour objectif la réforme de nombreuses dispositions fondamentales du Titre IV du Livre IV du Code de commerce. Il s’agit notamment des treize pratiques restrictives de concurrence énumérées au désormais ancien article L. 442-6 du Code de commerce. Selon le Rapport au Président de la République publié au Journal Officiel le 25 avril 2019, l’ordonnance a pour vocation, au-delà de recentrer ces pratiques autour du déséquilibre significatif, de l’avantage sans contrepartie et de la rupture brutale de la relation commerciale, de préciser leur définition au terme du nouvel article L. 442-1 du Code de commerce afin de « rendre plus intelligible l’environnement légal pour les opérateurs économiques ». Nous reviendrons plus amplement sur cette refonte du Titre IV du Livre IV du Code de commerce dans un prochain article. Enfin, les dispositions de l’ordonnance sont entrées en vigueur le 26 avril 2019, à l’exception de certaines mesures pour lesquelles l’entrée en vigueur a été différée.