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Concurrence, distribution, consommation

Concurrence Distribution Consommation n°6/2019

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 Nouvelle décision rendue dans l’affaire STIHL  

Le 17 octobre 2019, la Cour d’appel de Paris a confirmé pour l’essentiel la décision de l’Autorité de la concurrence du 24 octobre 2018 qui a retenu une restriction par objet de la clause imposant aux revendeurs STIHL une remise en mains propres des tronçonneuses vendues par Internet pour des raisons de sécurité (CA Paris, 7 octobre 2019, n° 18/24456).

En l’espèce, STIHL a mis en place un réseau de distribution sélective dont la validité n’est pas remise en cause dans le cadre de cette procédure judiciaire. Seules deux clauses de l’accord de distribution sélective ont été débattues en première instance devant l’Autorité de la concurrence :

  • Une clause interdisant la vente des produits STIHL par l’intermédiaire de plateformes tierces. Cette clause a finalement été validée par l’Autorité, en référence à la jurisprudence Coty (CJUE, 6 décembre 2017, C-230/16 – Coty Allemagne et Cour d’appel de Paris, 28 février 2018, n° 16/02263). Cette clause n’a pas été remise en cause par la décision de la Cour d’appel de Paris du 17 octobre 2019.
  • Une clause obligeant le distributeur, pour chaque vente y compris sur Internet, à s’assurer de la livraison en mains propres, du montage et de la mise en marche complète du produit avec un service clientèle de haut niveau et des conseils complets sur l’utilisation appropriée et les précautions de sécurité du produit. La clause avait d’abord été conçue pour chaque produit des gammes STIHL et VIKING. Toutefois, après échanges avec l’autorité allemande de la concurrence (Bundeskartellamt), cette clause a été limitée aux produits de nature dangereuse pour la gamme STIHL uniquement. Ainsi, cette obligation contractuelle pouvait être respectée soit par la venue du client au magasin, soit par le déplacement du distributeur jusqu’au domicile du client. Cette clause particulière a alors été jugée par l’Autorité comme ayant un objet anticoncurrentiel dans la mesure où elle a conduit à une interdiction de facto des ventes sur Internet.

C’est cette dernière clause qui faisait l’objet du débat devant la Cour d’appel.

A ce sujet, la Cour d’appel a considéré que cette clause a un objet anticoncurrentiel et qu’il s’agit d’une interdiction de facto des ventes sur Internet, dans la mesure où elle entraîne une restriction de concurrence en conduisant à reconstituer des zones de chalandise physique, sans pour autant être justifiée par la dangerosité des produits qui n’a pas motivé l’interdiction qui s’appliquait au départ à tous les produits y compris ceux ne présentant pas un caractère dangereux.

La Cour a alors retenu que si l’exigence pouvait sembler appropriée dans une logique de protection du consommateur pour des produits dangereux (point 260), l’obligation de prise en main n’était pour autant pas nécessaire. La Cour relève qu’il n’est d’ailleurs pas démontré que les accidents seraient moindres avec une telle information (point 277).

Partant de là, la Cour a donc jugé que l’obligation imposée aux distributeurs, dans la mesure où elle était due tant aux clients profanes qu’aux clients professionnels, quelle que soit leur connaissance, allait au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver la sécurité des clients (point 273). Elle estime qu’une telle obligation n’a pas besoin d’être exécutée personnellement par les distributeurs et qu’elle pourrait tout à fait être assurée par des prestataires de services tiers (point 274). Elle considère même que l’objectif de sécurisation de l’utilisation du produit pourrait être atteint par d’autres moyens que la simple vente en face à face, notamment par le biais de l’assistance à distance via Internet (point 276).

La Cour estime en outre que STIHL ne peut bénéficier de l’exemption par catégorie prévue par le Règlement n° 330/2010, dans la mesure où la clause relève de la définition des restrictions caractérisées interdite par l’article 4, point c), puisqu’il s’agit d’une interdiction de fait des ventes sur Internet (point 295). La clause ne peut d’ailleurs pas non plus bénéficier d’une exemption individuelle, la Cour estimant que la mesure n’avait pas un caractère indispensable et qu’il existait d’autres moyens économiquement réalisables et moins restrictifs permettant d’atteindre l’objectif (point 307).

Enfin, la Cour considère que STIHL ne saurait invoquer le principe de confiance légitime résultant du Règlement n° 1/2003 (fondé sur les positions concordantes de trois autorités nationales de concurrence qui, après examen du contrat de distribution spécialisée, ont décidé qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir) car, à son avis, (i) les positions de l’autorité allemande de concurrence (« absence d’objections ») ne constituent pas une décision, d’autant plus que rien n’indique que l’autorité allemande de la concurrence était en possession des mêmes informations que l’autorité française, (ii) la décision de l’autorité suédoise ne constitue pas une validation des arrangements contractuels, (iii) l’autorité suisse s’est réservée le droit de ré-ouvrir l’enquête, et enfin (iv) la Commission européenne, bien qu’informée, a jugé inutile d’intervenir dans la procédure (point 319 et suivants).

Bien que le principe de confiance légitime n’ait pas été retenu pour exclure toute condamnation, la Cour a toutefois estimé que l’incertitude juridique résultant de cette situation devait être prise en compte pour apprécier la gravité de l’infraction (point 358), tout comme le fait que le préjudice causé à l’économie était relativement modeste (point 366). Pour ces raisons, elle a donc réduit l’amende de 7 à 6 millions d’euros.

La Cour de cassation sera peut-être amenée à se prononcer sur le principe de confiance légitime qui fait l’objet de peu de décisions.

Quoi qu’il en soit, cette affaire souligne la différence de perception que peuvent avoir les autorités de concurrence, le rôle que chacune estime pouvoir jouer dans le cadre des contacts qui peuvent être pris avec elles.

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 La force majeure ne justifie pas une augmentation du prix convenu 

Un producteur de matières premières est victime d’une panne électrique affectant l’ensemble de son site de production et entraînant l’arrêt de l’unité d’exploitation. Le producteur informe ses clients que cet élément qu’il qualifie de « force majeure », entraînera une augmentation du prix des produits restant à livrer.

Dans son avis n°19-9 du 19 septembre 2019, la CEPC rejette la qualification de force majeure, non seulement faute d’éléments permettant de conclure que ladite panne réunissait les trois conditions requises par l’article 1218 du Code civil, mais également car l’événement invoqué par le producteur ne rend pas l’approvisionnement en matières premières radicalement impossible. De plus, le fait de demander une augmentation de prix en justifiant celle-ci par la « force majeure » ne figure pas parmi les effets de la force majeure qui, si elle est temporaire, entraîne la suspension de l’exécution de l’obligation à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.

La CEPC retient également que le producteur ne pouvait pas bénéficier des dispositions de l’article 1195 du Code civil pour demander une renégociation du contrat. En effet, selon la CEPC la survenance d’une panne électrique ne paraît pas constituer un changement de circonstance rendant l’exécution excessivement onéreuse. De plus, la partie sollicitant la renégociation doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation.

Enfin, selon la CEPC la pratique consistant pour un producteur d’imposer une augmentation du prix précédemment fixé en arguant d’un « cas de force majeure » peut constituer une pratique abusive de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce (anciennement l’article L. 442-6, I, 2°).

Sur ce point, la CEPC rappelle tout d’abord que cette disposition autorise un contrôle judiciaire du prix (Cass. Com, 25 janvier 2017, n° 15-23.547 Galec – Lien vers notre Newsletter du 19 juin 2017).

La CEPC caractérise ensuite les deux éléments constitutifs de cette pratique abusive :

  • S’agissant de l’élément de soumission, elle retient que cet élément consiste dans le fait d’imposer ou tenter d’imposer une obligation sans possibilité de négociation. Tel pourrait être le cas lorsque le fournisseur menace son client de ne pas l’approvisionner comme convenu, sauf si ce dernier accepte une augmentation du prix convenu.
  • S’agissant du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, la CEPC retient que l’augmentation tarifaire sollicitée ne paraît ni être assortie d’une contrepartie, ni répondre à une justification ou un motif légitime. Or, dans le cas d’un déséquilibre tarifaire, il importe, selon la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 23 mai 2013, n° 12/01166), d’examiner si les « conditions commerciales (sont) telles que (le partenaire) ne reçoit qu’une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu’il donne ». Dans le cas d’espèce, les éléments communiqués à la Commission n’ont pas permis de conclure sur ce point.

Enfin, la CEPC indique qu’une telle pratique pouvait également être appréhendée sur le fondement des anciens articles L. 442-6, I, 4° (menace de rupture brutale) et L. 442-6, I, 12° (modification du prix convenu) du Code de commerce.

Petit à petit, le contrôle du prix, de ses modifications, entre dans le périmètre du contrôle du juge. Au-delà du déséquilibre significatif, on peut penser que la Cour de cassation poursuivra son contrôle dans le droit commun des obligations au-delà des contrats d’adhésion. La disparition de la cause dans le droit des obligations jouera sans doute un rôle dans le débat.

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 La DGCCRF applique à SFR une amende record de 3,7 millions d’euros pour manquements répétés aux délais de paiement 

La DGCCRF avait fait de la lutte contre les retards de paiement une de ses priorités. En avril 2019, le record était à 670.000 euros pour la filiale française du cimentier allemand HeidelbergCement. Voilà le plafond largement dépassé à raison de la récidive.

On se souvient qu’en 2015, SFR avait déjà été sanctionnée à une amende de 375.000 euros pour non-respect des délais de paiement.

Le 18 novembre 2019, la DGCCRF a sanctionné SFR à hauteur de 3,7 millions d’euros pour manquements réitérés aux délais de paiement légaux.

Cette sanction intervient à l’issue d’une enquête menée par les agents de la CCRF de la DIRECCTE d’Ile-de-France, qui ont procédé à un nouveau contrôle de la société SFR du 1er juillet au 31 décembre 2017 afin de vérifier que ses pratiques en matière de délais de paiement avaient été mises en conformité avec la législation applicable.

Cette enquête a révélé :

  • 12 862 factures réglées en retard (soit 32 %) sur les 39 787 factures contrôlées ;
  • 470 millions d’euros réglés en retard (soit 29 %) sur un volume d’achats contrôlé de 1,65 milliards d’euros ;
  • un retard de paiement moyen de 28 jours ;
  • une rétention de trésorerie de plus de 72 millions d’euros.

On rappellera qu’en vertu de l’article L. 441-10 du Code de commerce (anciennement l’article L. 441-6) :

  • sauf accord entre les parties, le délai de règlement est fixé à 30 jours à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation ;
  • le délai convenu entre les parties ne peut dépasser 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ;
  • par dérogation, un délai maximal de 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture peut être convenu par contrat entre les parties.

Dans son communiqué, la DGCCRF précise que « La rétention de trésorerie illicite mise en évidence dans le dossier SFR est la plus élevée jamais relevée dans le cadre d’une procédure de sanction administrative pour manquements aux délais de paiement légaux ». C’est la raison pour laquelle elle a retenu une amende proche de l’amende maximale légalement encourue (4 millions d’euros, correspondant au doublement du plafond de 2 millions d’euros prévu par l’article L. 441-16 du Code de commerce, du fait de la réitération du manquement).

Les sanctions font l’objet d’une publication systématique sur le site Internet de la DGCCRF : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/sanctions-delais-paiement.

Soyez vigilants !

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Quand le témoignage anonymisé est validé

A la suite d’une assignation du Ministre de l’économie, la Cour d’appel de Paris a condamné le 12 juin 2019, la société General Electric à une amende de deux millions d’euros, accompagnant son arrêt d’un réel enrichissement d’un point de vue probatoire (CA Paris, Pôle 5, Chambre 4, 12 juin 2019, n° 18/20323).

Sur le fond, la Cour d’appel a condamné la société GE Energy Products France, filiale de l’entreprise General Electric, sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce (désormais devenu L. 442-1, I, 2°), considérant que les contrats imposés par General Electric à ses fournisseurs présentaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Il était reproché à General Electric d’avoir imposé à ses fournisseurs deux clauses déséquilibrées. La première consistait à faire systématiquement primer ses conditions générales d’achat sur les conditions générales de vente de ses fournisseurs, et la seconde autorisait General Electric à déduire une rémunération à son profit pour paiement anticipé des factures de ses fournisseurs. Ce paiement anticipé des factures ne présentant aucun avantage pour les fournisseurs compte tenu des réductions conséquentes qui y étaient associées et de l’absence de rééquilibrage opéré par d’autres clauses du contrat.

La Cour d’appel retient que la soumission des fournisseurs est en l’espèce caractérisée par l’absence de négociation effective des contrats. L’arrêt fait ressortir que l’ensemble des pièces et déclarations versées au débat démontrent que les fournisseurs ne pouvaient négocier les clauses litigieuses, celles-ci étant présentées comme non négociables par General Electric qui bénéficiait d’une position incontournable sur le marché des turbines à gaz.

Au-delà de la sanction de ces deux clauses, cette décision est particulièrement importante en matière probatoire dans la mesure où, saisie pour la première fois à ce sujet, la Cour d’appel reconnaît la valeur probante dans des procédures judiciaires de déclarations anonymisées émanant d’entreprises victimes de pratiques commerciales déloyales.

La Cour a considéré que ce procédé ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense au motif :

  • que ces 28 procès-verbaux anonymisés sont dressés par des agents assermentés ;
  • qu’ils portent sur des questions dont la société défenderesse a connaissance et auxquelles elle peut répondre en produisant ses propres pièces ;
  • que le contenu des auditions n’est pas anonymisé ;
  • que seules les informations empêchant toute identification de l’identité du fournisseur ont été tronquées (à savoir  le nom du fournisseur et de la personne auditionnée, l’activité de la société et toute information relative au marché sur lequel elle opère, et les éléments relatifs à son chiffre d’affaires) et ceci dans le seul but de préserver leur identité et l’efficacité de ces enquêtes destinées à protéger l’ordre public économique, et que ces témoignages n’ont pas été obtenus déloyalement.

Toutefois, la Cour insiste sur le fait que ces déclarations anonymisées doivent être confortées par d’autres éléments du dossier et ne peuvent constituer les seuls éléments de preuve.

Ainsi, en ouvrant la possibilité de préserver l’anonymat des entreprises plaignantes, cet arrêt vient limiter le risque de représailles et devrait par conséquent encourager les victimes de pratiques commerciales déloyales à témoigner plus facilement dans le cadre de procédures intentées par la DGCCRF.

Il est tout de même difficile de ne pas considérer que les droits de la défense ne se trouvent pas affectés. De tels mécanismes font obstacles à une confrontation qui permet de faire la part des choses entre les témoignages à charge et la réalité. Il serait dans tous les cas souhaitable que cette faveur pour les victimes soit confirmée par la Cour de cassation avant d’être définitivement ancrée dans la pratique décisionnelle.

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 L’Autorité de la concurrence sanctionne Bikeurope pour avoir interdit à ses distributeurs agréés de vendre ses vélos en ligne (ADLC, décision n° 19-D-14 du 1er juillet 2019)

La société Bikeurope assemble, vend et distribue des vélos haut de gamme par l’intermédiaire d’un réseau de distributeurs agréés. Entre 2007 et 2014, elle a introduit des dispositions spécifiques dans ses conditions générales de vente visant à imposer à ses distributeurs de livrer les cycles dans leurs points de vente physiques. Une surveillance était d’ailleurs organisée afin de faire respecter ces dispositions, de sorte que le distributeur qui ne les respectait pas était rappelé à l’ordre ou menacé de résiliation des relations commerciales. Ce qu’elle a justifié en prétextant se mettre en conformité avec la règlementation française sur la prévention des risques de l’usage des bicyclettes. En effet, un décret de 1995 (dont les dispositions n’ont été assouplies qu’en 2016), prévoyait sous peine d’amende que les cycles ne devaient être distribués qu’entièrement montés et réglés « selon les règles de l’art ».

Toutefois, l’Autorité de la concurrence constate que ces exigences fixées par le décret de 1995 n’interdisaient pas la vente à distance et qu’elles n’imposaient pas que le montage et les réglages soient effectués en présence de l’acheteur.

Partant de là, l’Autorité de la concurrence considère que cette pratique interdisait de facto la vente de ces vélos via Internet, et qu’elle allait au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver notamment la sécurité des consommateurs et la haute technicité des cycles.

En effet, cette interdiction est venue limiter fortement la liberté commerciale des distributeurs, en recréant artificiellement des zones de chalandise physiques pour chaque distributeur, et en les empêchant de se concurrencer par les prix à l’extérieur de ce périmètre. Quant aux consommateurs, l’absence de présence sur Internet des revendeurs est venue nuire à l’identification de ces derniers et à leur comparaison, limitant ainsi la possibilité de faire jouer la concurrence entre eux, tant en termes de prix que de produits.

L’Autorité de la concurrence en conclut donc que cette pratique est constitutive d’une restriction anticoncurrentielle par objet susceptible de créer une entente illicite entre Bikeurope et ses distributeurs agréés sanctionnée par les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, tout en précisant que cette interdiction :

  • d’une part, ne pouvait bénéficier du règlement d’exemption par catégorie applicables aux restrictions verticales, dans la mesure où elle s’apparentait à une restriction caractérisée des ventes passives ; et
  • d’autre part, ne remplissait pas les conditions requises pour l’octroi d’une exemption individuelle.

Bien que ces pratiques aient duré près de 7 ans, l’Autorité de la concurrence tient toutefois compte de l’incertitude sur la qualification des pratiques visant à interdire les ventes sur Internet dans le droit et la jurisprudence avant l’arrêt Pierre Fabre de 2011, et constatant que le dommage à l’économie était limité du fait de la faible propension des consommateurs à acheter des vélos sur Internet sur la période en cause, elle déroge à l’application du communiqué sanctions en infligeant une amende modérée de 250 000 euros.

En pratique, cette décision de l’Autorité de la concurrence (ADLC, décision n° 19-D-14 du 1er juillet 2019,) ne fait que s’inscrire dans la lignée des précédentes décisions rendues en la matière. Pour rappel, depuis l’arrêt Pierre Fabre (CJUE, 13 octobre 2011, C-349/09), il ne fait aucun doute qu’une interdiction générale de vente sur Internet dans un contrat de distribution sélective est susceptible de constituer une restriction par objet dès lors qu’il apparaît que cette clause n’est pas objectivement justifiée par les propriétés du produit en cause. Les juridictions n’ont d’ailleurs eu de cesse que de rappeler et préciser ce principe (CA Paris, 13 mars 2014, Bang & Olufsen, n° 2013/00714, et plus récemment : CJUE, 6 décembre 2017, Coty, C-230/16 ; ADLC, 24 octobre 2018, Stihl, n° 18-D-23).

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 Qualcomm et le droit de la concurrence

Par une décision du 18 juillet 2019, la Commission européenne a infligé à Qualcomm une amende de 242 millions d’euros pour abus de position dominante sur le marché mondial des chipsets 3G. Ces derniers sont des composants essentiels qui permettent aux smartphones et aux tablettes de se connecter à Internet.

L’enquête de la Commission européenne a démontré que Qualcomm occupait une position dominante sur le marché mondial des chipsets 3G entre 2009 et 2011 avec environ 60% de parts de marché, soit près de trois fois la part de marché de son principal concurrent. Cette position dominante était par ailleurs renforcée par d’importantes barrières à l’entrée sur ce marché, compte tenu des investissements initiaux nécessaires dans la R&D et des droits de propriété intellectuelle détenus par Qualcomm.

Or, sur cette période, il ressort de l’enquête que Qualcomm a pratiqué des prix d’éviction en vendant ses chipsets à un prix inférieur aux coûts à Huawei et à ZTE, deux clients d’importance stratégique, dans l’optique d’évincer Icera, son principal concurrent de l’époque qui était en phase de devenir un fournisseur viable de chipsets et constituait ainsi une menace croissance pour ses activités. Il semblerait d’ailleurs que Qualcomm soit parvenu à ses fins puisqu’Icera a disparu du marché en 2015.

Par conséquent, la Commission a conclu à un abus de position dominante et a considéré que le comportement de Qualcomm portait gravement préjudice à la concurrence. Non seulement il empêchait Icera d’exercer une concurrence sur le marché et réduisait ainsi les possibilités de choix pour les consommateurs, mais qui plus est, il entravait l’innovation.

Qualcomm a d’ores et déjà annoncé sa volonté de faire appel, indiquant que la décision « ne s’appuie pas sur la loi, ni sur les principes économiques ou sur l’état du marché ».

Cette nouvelle sanction fragilise encore plus Qualcomm, dont les pratiques anticoncurrentielles sont contestées dans le monde entier.

En février 2015, la Chine lui infligeait une amende de 975 millions de dollars pour abus de position dominante dans l’attribution de licences de ses brevets en matière de technologies mobiles. En décembre 2016, la Corée du Sud le sanctionnait à son tour pour les mêmes motifs avec une amende de 865 millions d’euros. Et en octobre 2017, Taiwan le condamnait également à 773 millions de dollars pour des griefs similaires, cette amende ayant été rabotée à 93 millions en échange d’un investissement de 700 millions dans le pays. Quant à l’Union européenne, Bruxelles avait déjà condamné en janvier 2018 Qualcomm à une amende de 997 millions d’euros pour avoir payé des milliards de dollars à Apple afin d’en rester le fournisseur exclusif de modems 4G entre 2011 et 2016.

En moins de cinq ans, Qualcomm aura ainsi été condamné cinq fois pour un montant total dépassant trois milliards d’euros. Sans oublier la bataille judiciaire que mène actuellement le groupe aux Etats-Unis pour faire suspendre une décision de l’Autorité fédérale de la concurrence rendue en mai 2019 l’obligeant à renégocier ses accords de licence avec les constructeurs mobiles.

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 Confirmation de la liberté d’agrément de la tête de réseau en matière de distribution sélective

La Cour d’appel de Paris a rendu le 31 juillet 2019 un arrêt intéressant en matière de distribution sélective (CA Paris, 31 juillet 2019, n° 16/20693) qui vient confirmer la tendance récente de la jurisprudence à ouvrir la possibilité aux têtes de réseau de refuser un agrément ou un renouvellement d’agrément.

En l’espèce, le constructeur automobile Hyundai à la tête d’un réseau de distribution sélective a notifié la résiliation des contrats de distributeur pour la vente de véhicules neufs et d’accessoires et de réparateur agréé suivant un préavis de deux années. Le constructeur automobile a cependant consenti à laisser l’un d’entre eux poursuivre son activité de réparateur agréé de la marque Hyundai et ses activités de vente de pièces de rechanges et d’accessoires, en signant un nouveau contrat de réparateur agréé. Par la suite, le constructeur automobile Hyundai a cependant fait le choix de résilier ce contrat de réparateur agréé ; sur quoi le réparateur évincé a introduit une action en justice en demandant au juge d’enjoindre à la société Hyundai de conclure un nouveau contrat de distributeur et de réparer son préjudice.

La Cour d’appel de Paris rappelle qu’en vertu des principes constitutionnels de prohibition des engagements perpétuels et de la liberté du commerce et de l’industrie, « un distributeur ne dispose d’aucun droit acquis à la poursuite indéfinie d’un contrat de distribution et que tout opérateur économique peut choisir en toute indépendance ses partenaires commerciaux ». Elle en déduit ainsi que « la résiliation d’un contrat de distribution sélective ne peut être qualifiée de pratique discriminatoire dès lors que le fournisseur n’est nullement contraint de contracter avec tout distributeur remplissant les critères de sélection, conformément au principe de liberté contractuelle, et ce dernier ne bénéficie d’aucun droit à la poursuite des relations contractuelles avec son fournisseur à l’issue des préavis de résiliation d’un précédent contrat de distribution auquel il a été régulièrement mis fin ».

Cette solution n’est pas nouvelle en soi (Cass. Com., 27 mars 2019, n° 17-22083 ; CA Paris, 27 mars 2019, n° 17/09056 ; CA Paris, 27 février 2017, n° 15/12029 ; CA Paris, 30 septembre 2015, n° 13/07915).

La Cour ne s’est pas penchée sur le refus d’agrément au regard du droit des ententes, pourtant invoqué indirectement par l’appelante et explicitement par l’intimé. Par conséquent, si cet arrêt semble offrir un vent de liberté supplémentaire aux têtes de réseau, il doit cependant être reçu avec prudence, car d’autres arrêts rendus récemment ont retenu que le droit des ententes est applicable à un refus d’agrément. Dans ces arrêts les juges ont vérifié la licéité du contrat et du réseau du fournisseur, et les juges ont recherché si le refus d’agrément ou de non-renouvellement d’agrément avait un objet ou un effet anticoncurrentiel :

  • au regard des parts de marché détenues (Pour une application en matière de distribution sélective quantitative : CA Paris, 20 février 2019, n° 15/13603 (part de marché inférieure à 30%) ; Pour une application en matière de distribution sélective qualitative : CA de Paris, 23 janvier 2019, n° 16/16856 (part de marché supérieure à 30%) ; CA Paris, 12 décembre 2018, n° 16/19853 (part de marché inférieure à 30%) ;
  • au regard de la présence de clauses restrictives de concurrence.

En outre, quand bien même le fondement d’entente anticoncurrentielle continuerait à être écarté, il n’en reste pas moins que la discrimination résultant d’un refus ou d’un non-renouvellement d’agrément reste condamnable au titre de l’abus de droit (Cass. Com., 8 juin 2017, n° 15/28355 ; CA Paris, 12 décembre 2018, n° 16/19853).

La décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 31 juillet dernier semble donc renforcer un peu plus la position des têtes de réseau, mais la prudence reste de mise.