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Concurrence, distribution, consommation

Spécial produits alimentaires

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Le secteur agricole et les produits alimentaires qui en sont issus sont au cœur de l’actualité récente du droit de la concurrence.

 

 Bientôt une nouvelle loi

Dans cette perspective, les Pouvoirs Publics ont décidé de renforcer la position des agriculteurs dans leurs négociations avec les industriels ou les distributeurs du secteur alimentaire qui achètent leurs produits pour les transformer ou les revendre.

Une fois encore, le droit de la concurrence constitue un outil de politique économique à la disposition d’un gouvernement ; il s’agit cette fois non plus de rechercher seulement le bien-être direct du consommateur, mais de fournir à un secteur économique (ici l’agriculture) les moyens de sa subsistance.

Pour cela, les Pouvoirs Publics sont – une fois encore – à la recherche d’un équilibre dans la négociation.

Cet équilibre passe par un renforcement de l’offre et un encadrement de la demande.

D’un côté, le gouvernement encourage le renforcement de l’offre :

  1. en proposant une réforme du droit des coopératives,
  2. en permettant, par une modification du Code rural, aux organisations interprofessionnelles agricoles de définir des indicateurs auxquels pourront se référer les contrats de vente de produits agricoles,
  3. en autorisant des échanges d’information entre producteurs de la même organisation (OP) ou d’association d’organisations (AOP) par dérogation au droit de la concurrence,
  4. en imposant de recourir à un contrat de vente proposé par le producteur ou à un accord-cadre proposé par l’association d’organisations de producteurs à laquelle le producteur a donné mandat. Ces contrats devront comporter nécessairement des dispositions relatives aux prix, aux volumes, aux modalités de paiement, à la durée, sous peine de sanctions administratives pouvant atteindre 2% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice de l’acheteur concerné.

D’un autre côté, le gouvernement tente de contrôler le regroupement des acheteurs en renforçant le dispositif de la loi Macron instauré dans l’article L.462-10 du Code du commerce. On se souvient que dans la loi du 12 août 2015, les centrales d’achats et de référencement dans le secteur de la distribution de détail des produits de grande consommation avaient une obligation d’information auprès de l’ADLC en cas de regroupement à l’achat.

Désormais, le délai d’information préalable à la mise en œuvre du rapprochement passe de 2 à 4 mois.

Il s’agit de donner à l’ADLC les moyens textuels d’une prérogative qu’elle s’est arrogée en pratique – en marge des textes – en ouvrant des enquêtes pour recueillir les avis des fournisseurs sur les projets de regroupement à l’achat des distributeurs et pour analyser ces opérations.

En outre, l’ADLC pourra demander, sur le fondement du nouvel article L.432-10 du Code de commerce, un bilan concurrentiel aux parties.

Pour mettre en œuvre ce post-contrôle, qui introduit un réel retour d’expérience, l’ADLC rendra publique cette demande et recueillera dans ce cadre les observations des tiers. A l’issue de ce bilan, si elle identifie des atteintes à la concurrence ou des effets anticoncurrentiels, les parties devront s’engager à y remédier dans un délai qu’elle fixe.

Enfin, sans attendre la phase du bilan concurrentiel, l’ADLC pourra prendre des mesures conservatoires si – avec un caractère de gravité suffisant – le regroupement entraine ou est susceptible d’entraîner immédiatement après son entrée en vigueur, des atteintes à la concurrence.

Ces mesures conservatoires pourront notamment comporter une injonction de revenir à l’état antérieur ou de modifier les accords.

 L’ADLC s’était déjà prononcée

Qu’il s’agisse du renforcement des producteurs ou du contrôle d’un regroupement à l’achat des distributeurs, l’ADLC avait été amenée à émettre des avis qui donnent le cap.

Ainsi, à propos des producteurs, l’Avis 18-A-04 du 3 mai 2018 a fait le point sur les règles applicables à ce secteur, notamment le règlement d’organisation des marchés (règlement OCM n°1308/2013), le règlement OMNIBUS (règlement 2017/2013 du 13 décembre 2017) et le fameux arrêt « Endives » de la CJUE C-671/15 du 14 novembre 2017.

L’ADLC a rappelé dans son avis les exigences du droit de la concurrence et a souligné la différence de régime entre les AO et AOP d’une part, au sein desquelles les membres peuvent convenir des conditions de commercialisation de leurs produits sans tomber sous le coup des ententes (art. 152.1bis OCM), et les organisations interprofessionnelles d’autre part, qui se voient interdire la fixation de prix ou de quotas (art. 157 OCM), leur rôle étant limité à fournir à leurs membres des outils de négociations.

Du côté des distributeurs, dans un Avis n°15-A-06 du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement, dans le secteur de la grande distribution, l’ADLC avait déjà été amenée à envisager les risques liés à ces regroupements, notamment liés aux échanges d’informations, à une homogénéisation des conditions d’achat et des coûts mis en œuvre par les distributeurs et à une coordination entre eux.

C’est pourquoi l’ADLC, dans ses recommandations, avait préconisé la notification préalable des engagements à l’achat les plus importants, ce qui avait donné lieu au vote de l’article L.462-10 du Code de commerce dans le cadre de la loi Macron du 6 août 2015 qui est sur le point d’être renforcé.

 Une première phase III : William Saurin

Le secteur des produits alimentaires nous donne l’occasion d’expérimenter la première phase III en matière de concentration.

On se souvient que la loi LME avait transféré le contrôle des concentrations qui était dans le giron des services du Ministère de l’Economie et des Finances à l’Autorité de la Concurrence.

Toutefois, le Ministre s’était réservé un droit d’évocation pour faire prévaloir l’intérêt général dans le contrôle des concentrations

Ainsi, après l’examen approfondi du projet de concentration (phase II), qui donne lieu à une décision de l’Autorité de la Concurrence, le Ministre peut évoquer l’affaire et statuer sur l’opération en cause pour des motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence (art. L.430-7-1-II du Code de commerce). Ce texte précise que les motifs peuvent être notamment le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou le maintien de l’emploi.

C’est ainsi que dans la reprise du pôle « plats en conserve » de Financière Turenne Lafayette (FTL), qui comporte notamment les marques William Saurin, Garbit et la licence Panzani, l’Autorité de la Concurrence avait autorisé l’opération à la condition que le repreneur cède sa marque phare Zapetti ainsi que ses deux sites de production (dont l’un dédié aux MDD) pour éviter une position ultra dominante (80%) de parts de marché dans les plats cuisinés italiens et 70% des plats cuisinés exotiques.

Le Ministre a fait usage de son droit d’évocation par décision du 21 juin 2018, invoquant le maintien de l’emploi et le développement industriel ; il invite les tiers intéressés à adresser des observations à la DGCCRF.

Le Ministre a jusqu’au 19 juillet 2018 (25 jours ouvrés) pour se prononcer. En pratique, il pourrait prononcer l’autorisation de l’opération sans condition ou l’assortir d’engagements moins lourds que ceux imposés par l’ADLC.

On peut imaginer que le recours à la phase III restera rare. Le contexte particulier de cette affaire dans laquelle la société PFT s’est retrouvée sans comptabilité fiable au décès de sa propriétaire, qui a nécessité le soutien des Pouvoirs Publics pour préserver l’existant, aura sans doute compté dans la balance.

Il reste que sa décision pourra faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat si la motivation que la DGCCRF va préparer et asseoir sur le maintien de l’emploi, s’avèrait insuffisante.