Concurrence Distribution Consommation n°2/2020
- NewsletterNégociations commerciales 2019 : la DGCCRF inflige 4,3 millions d’euros d’amendes à trois distributeurs pour non-respect des règles relatives au formalisme des négociations
A la suite de contrôles menés au cours des négociations commerciales pour l’année 2019, la DGCCRF a sanctionné fin 2019 Carrefour, Système U et Intermarché par des amendes administratives pour non-respect de la date butoir du 1er mars pour la signature des conventions annuelles.
Les amendes administratives infligées par l’Administration sont les suivantes :
- 2.931.000 € à l’encontre de la société Interdis (Carrefour) ;
- 1.140.000 € à l’encontre de la Coopérative U enseigne (Système U) ;
- 211.000 € à l’encontre de la société ITM alimentaire international (Intermarché).
L’Administration rappelle que « le respect du formalisme des négociations commerciales, et notamment le respect de cette date-butoir du 1er mars, est nécessaire pour garantir la transparence et l’équilibre des relations commerciales entre les distributeurs et leurs fournisseurs ». Elle précise à cet égard que « le fait de ne pas avoir signé la convention dans les délais impartis est susceptible de renforcer le rapport de force en faveur du distributeur. »
L’Administration rappelle dans son communiqué du 11 février 2020 qu’elle est mobilisée pour garantir le respect des dispositions de la loi Egalim et des règles du Code de commerce. En 2019, elle a réalisé pas moins de 5.500 contrôles sur l’application des nouvelles règles encadrant les promotions et maintient ses contrôles au cours des négociations commerciales 2020.
La DGCCRF a déjà annoncé sa visite chez certains acteurs pour s’assurer que les négociations ont été formalisées au 1er mars 2020.
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Rupture abusive et abus de position dominante : Coca-Cola doit reprendre les livraisons vers Intermarché
Le 16 janvier 2020, le Tribunal de commerce de Paris a condamné en référé la société Coca-Cola à reprendre les livraisons de ses produits vers Intermarché (« ITM »), qu’elle avait arrêtées après l’échec de leurs négociations commerciales pour 2020 (Tribunal de commerce de Paris, 16 janvier 2020, n° 2020001069).
Dans cette affaire, ITM avait, en août 2019, notifié à Coca-Cola le déférencement d’un certain nombre de produits. A la suite de l’échec des négociations commerciales pour 2020, Coca-Cola a notifié à ITM, le 24 décembre 2019, l’arrêt des livraisons de produits Coca-Cola à compter du 2 janvier 2020, soit moyennant un préavis de 9 jours.
Invoquant la rupture brutale et totale d’une relation commerciale établie, constitutive d’un trouble manifestement illicite et source d’un dommage imminent, ITM a assigné en référé d’heure à heure Coca-Cola.
Dans son ordonnance du 16 janvier 2020, le Juge des référés a rappelé que Coca-Cola disposait d’une part de marché de 75 % à 90 % sur le marché français des colas et que le chiffre d’affaires 2019 de ITM auprès de Coca-Cola s’est élevé à 165 millions d’euros. Le Juge des référés a également rappelé que l’article L. 420-2 du Code de commerce prohibe l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante et qu’un tel abus peut notamment consister en un refus de vente ou une rupture des relations commerciales établies.
En l’espèce, les relations commerciales étaient établies depuis plusieurs dizaines d’années. Dès lors, un préavis de 9 jours (dont 5 jours ouvrés) entraînant une rupture de stock dans le réseau ITM et un risque de perte de clientèle relève d’une rupture abusive et d’un abus de position dominante par Coca-Cola. En conséquence, dans l’attente que des négociations puissent aboutir, le Juge des référés a ordonné la reprise des livraisons par Coca-Cola, aux conditions contractuelles de 2019.
En outre, le Juge des référés a assorti la mesure d’une astreinte de 460.000 euros par jour de retard, cette somme correspondant à la valeur d’un jour d’achat de 2019.
La bataille entre Coca-Cola et ses distributeurs ne semble pas finie. Après Intermarché en France et Edeka en Allemagne, c’est au tour de Colruyt en Belgique de contester les conditions commerciales de Coca-Cola.
Cette affaire illustre les tensions qui peuvent exister entre fournisseurs et distributeurs lors des négociations commerciales.
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Encadrement des promotions : publication des nouvelles lignes directrices de la DGCCRF
Le 16 janvier 2020, la DGCCRF a modifié ses lignes directrices relatives à l’encadrement des promotions, pour préciser les conditions d’application du dispositif Egalim aux ventes avec prime.
On se souvient que dans ses lignes directrices de février 2019, l’Administration avait déjà annoncé que le plafonnement des promotions en valeur ne trouvait pas à s’appliquer dans le cadre de « l’offre d’un produit différent, y compris alimentaire, pour un ou plusieurs produits identiques achetés (vente avec prime) ».
Sur ce point, l’Administration précise désormais que cette exclusion n’est possible que « sous réserve que les deux produits liés ne puissent pas être considérés comme similaires ». Seront notamment considérés comme des produits similaires : « deux bouteilles de champagne, qu’il soit brut, demi-sec ou doux, blanc ou rosé, un foie gras entier et un bloc de foie gras, des blancs de poulet et des cuisses de poulet ».
En d’autres termes, selon l’Administration, dès lors qu’une vente avec prime consiste par exemple à offrir une bouteille de champagne brut pour l’achat d’une bouteille de champagne demi-brut, la bouteille offerte ne doit pas représenter un avantage supérieur à 34% de la somme de ces deux produits.
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Déséquilibre significatif : la notion de « partenaire commercial » s’entend largement
Par un arrêt en date du 15 janvier 2020, la Cour de cassation a censuré la définition restrictive du « partenaire commercial » retenue par la Cour d’appel de Paris et a retenu une définition large du partenaire, victime d’un déséquilibre significatif (Cass., Com., 15 janvier 2020, n° 18-10.512).
Pour mémoire, l’ancien article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce interdisait le fait de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce a remplacé la notion de « partenaire commercial » par la notion plus large d’« autre partie ».
Sous l’empire de l’ancien texte, la jurisprudence récente interprétait de façon restrictive la notion de « partenaire commercial » en excluant qu’elle s’applique en présence d’un seul contrat conclu entre les parties qui ne s’inscrit pas dans la durée (CA Paris, 6 juillet 2018, n° 17/00776 ; CA Lyon, 20 mars 2014, n° 12/00427), en exigeant une véritable relation de partenariat s’inscrivant dans la durée (CA Aix-en-Provence, 10 mars 2016, n°2016/140) ou encore en exigeant une volonté commune et réciproque de partenariat et de coopération entre les parties (CA Paris, 27 septembre 2017, n° 16/00671).
Dans ce dernier arrêt du 27 septembre 2017, la Cour d’appel de Paris avait rejeté l’action du ministre de l’Economie et avait refusé de qualifier de partenariat commercial des contrats de mise à disposition de site Internet conclus entre une société et ses clients ayant pour objet des opérations ponctuelles à objet et à durée limités, n’engendrant aucun courant d’affaires stable et continu entre les parties et n’impliquant selon elle aucune volonté commune et réciproque d’effectuer, de concert, des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services. En exigeant un courant d’affaires stable et continu, la Cour semblait opérer un rapprochement avec la notion de partenariat en matière de rupture brutale des relations commerciales.
Cette définition est censurée par la Cour de cassation dans son arrêt en date du 15 janvier 2020 qui retient que « le partenaire commercial est la partie avec laquelle l’autre partie s’engage, ou s’apprête à s’engager, dans une relation commerciale ».
Ainsi, une activité de location de site Internet portant sur des opérations ponctuelles à objet et à durée limités, ne générant aucun courant d’affaires stable et continu entre les parties, entre dans le champ d’application du déséquilibre significatif du Code de commerce.
La solution de la Cour de cassation, rendue sous l’empire des anciennes dispositions, rejoint l’objectif du nouvel article L. 442-1, I, 2° du Code commerce qui est de couvrir un champ d’application le plus large possible et ainsi « d’inclure toutes les situations où la pratique illicite est imposée à un cocontractant dans le cadre de son activité de distribution, de production ou de service » (Rapport au Président de la République du 24 avril 2019).
Il convient donc dans toutes les situations d’être vigilant sur l’équilibre des clauses contractuelles.
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Le private enforcement à l’épreuve du droit allemand
Le débat sur la réparation des dommages résultant de pratiques anticoncurrentielles est d’une grande actualité partout dans le monde. Voici un exemple récent allemand qui montre le contrôle strict qu’exercent les juges sur ce type de recours.
En 2016, la Commission européenne a infligé une amende record de 2,93 milliards d’euros à plusieurs constructeurs de camions pour entente illicite. L’entente découverte avait subsisté pendant 14 ans et portait sur les prix d’achat des camions et une répercussion des coûts sur les acheteurs.
De nombreux clients des constructeurs de camions, notamment des transporteurs de marchandises, se sont estimés lésés par les prix excessifs pratiqués pendant des années par les constructeurs de camions consécutivement à l’entente anticoncurrentielle et ont souhaité obtenir réparation du préjudice subi.
Afin d’introduire une action en dommages et intérêts devant la juridiction civile allemande, 3000 transporteurs ont ainsi eu recours à un prestataire de services juridiques nommé Financialright Claims GmbH, qui a introduit une action en dommages et intérêts de plus de 600 millions d’euros devant le tribunal régional de Munich I.
Par un jugement du 7 Février 2020, le tribunal régional de Munich I a rejeté cette demande d’indemnisation. Le juge allemand a estimé que la concentration des demandes des victimes dans les mains d’un prestataire de services juridiques ne peut être admise et que la cession des droits des transporteurs à Financialright Claims était nulle. Le tribunal justifie cette décision principalement pour deux raisons :
- D’une part, l’activité de Financialright Claims est limitée à la revendication judiciaire des actions des tiers. Le droit de proposer des services juridiques extrajudiciaires est règlementé en droit allemand et les entreprises exerçant cette activité sont obligées de s’inscrire dans un registre officiel. (Les services d’encaissement sont un exemple typique.) La cour suprême fédérale a jugé que la définition des services d’encaissement peut couvrir une activité englobant des actions judiciaires et extra-judiciaires. En l’espèce, le tribunal régional de Munich I a jugé que tel n’est pas le cas pour l’activité d’une entreprise poursuivant le but unique de récupérer des actions individuelles et de les porter devant les juridictions.
- D’autre part, la concentration des actions pourrait présenter des risques pour certains des transporteurs : le contrat avec Financialright Claims prévoit en effet une répartition égale entre les transporteurs de la somme obtenue à la suite d’un éventuel accord, sans prendre en considération les chances de succès variables des actions individuelles des transporteurs. Ainsi, l’action individuelle d’un transporteur ayant de faibles chances d’aboutir aurait pu conduire à pénaliser un autre transporteur dont l’action individuelle aurait eu à elle seule une meilleure chance de succès.
Ce jugement du tribunal régional de Munich I s’insère dans le contexte de l’action collective, de l’émergence de LegalTech qui développent des solutions digitales pour faciliter l’exercice de recours en justice et des questions propres à la procédure en réparation des dommages causés par une pratique anticoncurrentielle.
En effet, l’action collective n’est pas admise en Allemagne à l’exception, depuis 2018, de certaines actions introduites par les associations des consommateurs. Cette situation est problématique pour les victimes d’une entente : souvent confrontées à plusieurs grands groupes, elles ont, en raison de leur nombre, tout intérêt à réunir leurs forces afin de limiter leurs dépenses, comme celles consacrées à l’élaboration d’une expertise économique pour estimer leur préjudice.
Il n’en demeure pas moins que, en l’état, l’élargissement du domaine de l’action collective en réparation du dommage subi par les victimes d’une pratique anticoncurrentielle est rejeté catégoriquement par le juge allemand, comme en témoigne cette décision du tribunal régional de Munich I.
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Protection du secret des affaires : l’Autorité de la concurrence rappelée à l’ordre
Dans deux arrêts du 29 janvier 2020, la Cour de cassation a précisé les contours de la protection pouvant être accordée au titre du secret des affaires lors d’une procédure devant l’Autorité de la concurrence (article L.463-4 du Code de commerce). Deux enseignements peuvent en être tirés :
(i) Le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence doit motiver sa décision de retrait d’une protection précédemment accordée au titre du secret des affaires (Cass., Com., 29 janvier 2020, n°18-11725)
(ii) Seul un risque de divulgation à une autre partie d’informations soumises au secret des affaires justifie le maintien de la protection (Cass., Com., 29 janvier 2020, n°18-11726)
Ces deux affaires confirment donc que seul le risque d’une divulgation des informations à des tiers peut justifier la protection au titre du secret des affaires, le retrait de cette protection devant être spécifiquement motivée par le Rapporteur de l’Autorité de la concurrence.