Concurrence Distribution Consommation n°2/2018
- NewsletterDistribution : Les dessous de l’affaire NUTELLA
Les échauffourées dans les rayons d’Intermarché ont fait la une..et ont abouti à une enquête de la DGCCRF en raison du niveau du prix pratiqué : 1,41 € pour 950 grammes !
Deux observations à propos de cette affaire :
1. La revente à perte est constituée si le prix du produit revendu en l’état au consommateur est inférieur au prix auquel le distributeur l’a acheté. Pour apprécier le prix d’achat effectif du distributeur, on tient compte de l’ensemble des éléments financiers négociés.
Autrement dit, on part du prix tarif de Nutella duquel sont déduites les réductions de prix qui figurent sur la facture, l’escompte convenu, minorés de l’ensemble des avantages financiers consentis par Nutella à Intermarché hors factures (prix unitaire net), et augmenté du prix du transport et des taxes.
C’est à ce travail que très vraisemblablement vont se livrer les enquêteurs de la DGCCRF qui vont mobiliser un texte dont la validité est sujette à caution (voir Newsletter hwh n°1/2018). C’est sans doute ce qui conduit Intermarché à se déclarer serein dans cette opération négociée avec Nutella qui a précisé qu’elle ignorait le prix qui allait être pratiqué.
On reviendra dans une prochaine newsletter sur cette question du contrôle par le fournisseur du prix de revente.
2. L’opération sur les produits Nutella s’analyse en une promotion. A la différence des soldes qui portent sur un stock limité (et qui permettent la revente à perte), l’annonceur doit être en mesure de proposer pendant toute la durée de la promotion des produits au prix annoncé, sauf à s’exposer au reproche de pratiques commerciales trompeuses définies à l’article L.121-4.5° du Code la consommation et particulièrement à des sanctions pénales élevées (amende de 1,5 million d’euros qui peut être portée à 10% du chiffre d’affaires annuel calculé sur la moyenne des trois dernières années ou à 50% des dépenses de publicité).
Or, il semble bien que l’engouement pour cette promotion a été tel que les pots de Nutella ont vite manqué, les pots n’auraient ainsi pas été disponibles pendant toute la durée de l’opération. On considère pourtant que l’organisateur de la promotion doit être en mesure d’anticiper l’engouement prévisible des consommateurs et apprécier le critère de disponibilité, en tenant compte de l’ampleur de la publicité et du prix pratiqué (même licite).
On se souvient d’ailleurs que pour répondre à cette exigence, certains distributeurs annoncent clairement le nombre de produits disponibles et précisent que la promotion prendra fin à la vente du dernier produit.
Ainsi, l’opération pourrait être discutable au titre des pratiques commerciales trompeuses si le critère de disponibilité fait défaut.
Il semble que cette question n’ait pas été étudiée sous cet angle, mais seulement sous celui de la revente à perte.
Consommation : Appréciation au cas par cas de la licéité d’une promotion permanente au regard de la prohibition des pratiques commerciales trompeuses
Le 11 juillet 2017, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt d’un intérêt pratique non négligeable, puisqu’elle y donne des éléments pour apprécier de la validité des réductions de prix permanentes pratiquées sur certains sites de vente en ligne au regard de la prohibition des pratiques commerciales trompeuses.
En vertu des articles L.121-1 et L.121-2.2° du Code de la consommation, le caractère promotionnel d’un prix peut en effet être qualifié de pratique commerciale trompeuse si deux conditions sont réunies.
Le caractère promotionnel du prix doit, premièrement, reposer sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et, deuxièmement, altérer ou être susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (« le consommateur moyen »).
Dans l’arrêt attaqué, la Cour d’appel de Grenoble avait estimé que le fait, pour un site Internet spécialisé dans la vente de produits de musculation, d’appliquer des réductions permanentes sur un prix de référence barré ne constituait pas une pratique commerciale trompeuse.
La Cour d’appel s’appuyait principalement sur le fait que le caractère promotionnel du prix n’était pas de nature à altérer le comportement économique du consommateur moyen, qu’elle définit comme celui (i) qui a un intérêt particulier pour les produits liés à la pratique de la musculation du fait d’achats antérieurs et (ii) qui cherche à acheter sur Internet, ce qui permet une comparaison presque instantanée entre les concurrents.
La décision d’achat du consommateur moyen ainsi défini serait donc déclenchée par le seul prix effectivement proposé et non pas par son caractère promotionnel.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et reproche à la Cour d’appel de :
– ne pas avoir mieux recherché si les prix de référence mentionnés par les promotions proposées avaient bien été précédemment appliqués ;
– s’être fondée sur des critères inopérants afin de définir le consommateur moyen et ainsi d’apprécier l’incidence des promotions permanentes sur son comportement économique.
La Cour de cassation refuse donc de donner une interprétation trop restrictive de la notion de consommateur « normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ». Si elle précise qu’il ne s’agit pas du consommateur ayant un intérêt particulier pour le produit en raison d’achats dans le passé et qui a la faculté de comparer instantanément les prix pratiqués par d’autres commerçants en ligne, elle ne donne toutefois pas de définition positive de cette notion.
Il faudra donc apprécier au cas par cas si une promotion permanente est de nature à pousser le consommateur moyen à l’achat. En d’autres termes, la pratique des promotions permanentes n’est ni validée, ni invalidée par principe. Dès lors, nous ne pouvons qu’inciter les entreprises qui souhaitent avoir recours aux promotions permanentes à être vigilantes sur ce point.
On peut toutefois se demander si, aux yeux de la Cour de cassation, le fait d’avoir appliqué le prix de référence avant de recourir à la promotion qui s’étend dans le temps est une précaution suffisante pour exclure la qualification de pratique commerciale trompeuse. En l’absence d’allégation, d’indication ou de présentation fausse ou de nature à induire en erreur au sens de l’article L.121-2.2° du Code de la consommation, il ne peut bien évidemment pas être question de l’existence d’une pratique commerciale trompeuse.
Nous ne pensons toutefois pas que la Cour de cassation ait voulu valider la pratique des promotions permanentes si, pendant un certain laps de temps, le prix initial a été effectivement appliqué. Le fait d’appliquer le prix de référence servant de base à la promotion ne semble être qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte lors de l’appréciation du caractère trompeur de la promotion.
Chambre criminelle de la Cour de cassation, 11 juillet 2017, n°16-84.902.
Déséquilibre significatif : comment le prouver ?
La réponse se précise au fil des décisions et revêt une importance capitale. Le fait, dans une relation commerciale, de soumettre ou tenter de soumettre son partenaire à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice subi (article L.442-6.I.2° du Code de commerce).
Il est ainsi possible de remettre en cause l’accord contractuel à raison de ce déséquilibre mais comment prouver qu’il résulte d’une soumission ou d’une tentative de soumission ?
Telle est la question que l’arrêt du 20 décembre 2017 de la Cour d’appel de Paris est venu préciser en renforçant le standard de preuve.
Rappelons que, dans un avis n°15-03 du 22 janvier 2015, la CEPC avait retenu que « la soumission d’un opérateur peut être établie du fait des rapports de force existant dans le secteur caractérisé par une forte concentration ».
Plus tard, dans un avis n°16-5 du 14 janvier 2016, elle indiquait que « le déséquilibre structurel d’un marché est un indice permettant de caractériser la soumission d’une partie faible à une partie forte ».
La Cour de cassation, dans la même veine a jugé dans un arrêt du 4 octobre 2016, que l’on pouvait « se référer à la structure du secteur de la distribution alimentaire en France pour caractériser l’existence d’une soumission ou d’une tentative de soumission au sens de l’article L.442-6.I.2° du Code de commerce ».
Ultérieurement, certaines décisions se sont appuyées sur la forte position du partenaire sur le marché (partenaire incontournable, leader…) et sur le constat que les stipulations litigieuses figuraient dans tous les contrats pour en déduire la soumission.
Dans l’arrêt du 20 décembre 2017, la Cour de Paris renforce le standard de preuve exigée. Désormais, la structure du marché ne constitue pas à elle seule la preuve de la soumission, le rapport de force déséquilibré est un indice qui doit être complété par d’autres indices, même s’il s’agit d’un contrat-type.
Le critère déterminant devient alors l’absence de négociation effective. Un arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 le laissait déjà entendre. Il faut retenir que la soumission ou la tentative de soumission est rapportée par l’insertion de clauses dans un contrat-type ou un contrat d’adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective.
Concrètement, il faudra donc se ménager la preuve des échanges dans la négociation qui visaient à obtenir la suppression de clauses sans y parvenir.
Dans l’arrêt du 20 décembre 2017, la Cour retient ainsi, comme moyen de preuve, l’absence de suite donnée aux réserves ou aux avenants proposés par les fournisseurs pour modifier les clauses figurant dans les contrats-types du distributeur.
Cette jurisprudence est de nature à renforcer la pratique des lettres de réserve qui portent sur des clauses déséquilibrées. Il conviendra dès lors d’accorder une attention toute particulière à ces lettres de réserve.
Cour d’appel de Paris, 20 décembre 2017, n°13/04879.
Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 octobre 2016, n°14-28.013.
Cour d’appel de Paris, 21 juin 2017, n°15/18784.
Chambre commerciale de la Cour de cassation, 26 avril 2017, n°15-27.865.
Chambre commerciale de la Cour de cassation, 25 janvier 2017, n°15-23.547.
Concurrence : L’avocat général Nils WAHL propose à la CJUE de retenir que les mesures prises en rapport avec une opération de concentration mais qui précèdent la possibilité d’exercer une influence déterminante ne relèvent pas de l’obligation de suspension.
Le respect de l’obligation de suspension d’une opération de concentration dans l’attente de la décision d’autorisation de la Commission européenne ou de l’Autorité de la concurrence a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps.
Les parties à une opération de concentration rencontrent fréquemment des difficultés à distinguer les mesures préparatoires licites des mesures préparatoires qui constituent déjà une mise en œuvre partielle de l’opération envisagée et seront condamnées à ce titre (« gunjumping »).
Pourtant, il convient de rappeler que dans beaucoup de pays, y compris au sein de l’Union Européenne, il n’existe aucune obligation de suspension des opérations de concentrations, notamment en Italie ou au Royaume-Uni.
Le rôle de cette obligation est de réduire le risque de devoir défaire une opération de concentration dans l’hypothèse où elle ne serait pas autorisée alors même qu’elle aurait déjà été réalisée par les parties.
Dans cette affaire, si l’autorité de la concurrence danoise a bien autorisé l’opération de fusion entre KPMG Danemark et Ernst & Young dans une première décision du 28 mai 2014, elle a, dans une seconde décision du 17 décembre 2014, également considéré que KPMG Danemark avait violé l’obligation de suspension de l’opération en dénonçant l’accord de coopération avec KPMG International avant d’avoir obtenu le feu vert de l’autorité pour réaliser la fusion. Saisi d’un recours contre cette décision, le Tribunal maritime et commercial a porté cette question devant la CJUE.
Si la CJUE ne s’est pas encore prononcée, l’avocat général s’est clairement positionné dans ses conclusions contre l’idée de considérer cette dénonciation comme constitutive d’une violation de l’obligation de suspension.
L’avocat général s’attache à relier l’obligation de suspension à la notion de concentration qui implique « l’acquisition de la possibilité d’exercer une influence déterminante ». Seule cette acquisition donne naissance à l’obligation de suspension. Par conséquent, il exclue les mesures précédant une concentration de l’obligation de suspension.
Il conclue à juste titre que « le seul fait qu’une mesure ait été prise dans le cadre du processus menant à une concentration ne saurait à lui seul la faire automatiquement tomber sous le coup de l’obligation de suspension ».
L’avocat général propose alors deux critères pour ne pas appliquer l’obligation de suspension à une mesure ayant un rapport avec le processus conduisant à une concentration : il faut que cette mesure (i) précède l’acquisition de la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’entreprise cible, et (ii) soit dissociable des mesures y menant effectivement.
Dans l’affaire danoise en cause, il relève que la dénonciation de l’accord est bien liée à l’opération de concentration, mais que cela ne suffit pas pour caractériser un gunjumping car cette résiliation « n’a en rien contribué à un changement de contrôle ». En effet, dans l’attente de l’autorisation et de la réalisation de la fusion, les deux parties sont bien restées concurrentes sur le marché.
Il conclue donc qu’une mesure préparatoire de ce type ne doit donc pas être qualifiée de réalisation anticipée d’une opération de concentration et ne peut donc pas être sanctionnée à ce titre.
On ne peut que saluer les conclusions de l’avocat général et souhaiter que la CJUE suive son raisonnement dans sa décision à venir afin d’éviter une application extensive de l’obligation de suspension.