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Concurrence, distribution, consommation

Concurrence Distribution Consommation n°2/2019

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 Autorité de la concurrence : publication d’un communiqué relatif à la procédure de transaction

La conclusion de « deals de justice » inspirés des pratiques américaines se multiplie en droit français. Le droit de la concurrence en donne une bonne illustration.

Lorsqu’il existe des pratiques susceptibles de constituer une infraction au droit de la concurrence (entente, abus de position dominante, gun jumping, etc.), les entreprises concernées peuvent, à différents stades de la procédure d’instruction, négocier un accord avec l’Autorité de la concurrence pour éviter une procédure longue et coûteuse et limiter les sanctions.

Ainsi, avant toute enquête ou, dans une certaine mesure au début de l’enquête, l’entreprise peut recourir à la procédure de clémence qui consiste à dénoncer les faits et à obtenir en contrepartie une immunité ou une réduction de la sanction.

Lorsque l’enquête a abouti à la mise en évidence de faits susceptibles de constituer une infraction, l’Autorité notifie les griefs. A compter de cette notification, s’ouvre une nouvelle fenêtre de négociations dans le cadre de la procédure de transaction.

Le 27 décembre 2018, l’Autorité de la concurrence a publié un communiqué de procédure sur la transaction, qui a pour objet de préciser les modalités suivies en pratique par l’Autorité lorsqu’elle met en œuvre cette procédure (pt.5).

Insérée à l’article L. 464-2 III du code de commerce par la Loi n°2015-990 du 6 août 2015, dite loi « Macron », la procédure de transaction a remplacé l’ancienne procédure de non-contestation des griefs. Elle permet aux entreprises qui ne contestent pas les faits qui leur sont reprochés d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire à l’intérieur d’une fourchette proposée par le rapporteur général et ayant donné lieu à un accord des parties.

La publication de ce communiqué est bienvenue puisqu’elle permet de réduire l’incertitude juridique des entreprises qui souhaitent faire application de la procédure de transaction.

S’agissant du champ d’application et des conditions d’ouverture de la procédure : l’Autorité confirme d’abord que la procédure de transaction peut être mise en œuvre conjointement avec la procédure de clémence (pt.8).

L’Autorité précise ensuite que l’entreprise qui souhaite bénéficier de la procédure de transaction doit en faire la demande auprès du rapporteur général, le plus rapidement possible mais sans avoir à expliquer ses motivations (pt.10).

La procédure de transaction doit en effet aboutir dans un délai maximal de deux mois suivant la réception de la notification de griefs, les demandes n’ayant pas abouti dans ce délai n’étant pas prises en considération par l’Autorité. Face à ce délai très court, le rapporteur général peut informer les entreprises visées du déroulement de la procédure de transaction et celles-ci peuvent se rapprocher des services d’instruction avant même l’envoi de la notification de griefs (pts.10 et 11).

Afin de voir prospérer sa demande, l’entreprise mise en cause doit renoncer à contester les griefs qui lui ont été notifiés, tant quant à la réalité des pratiques visées qu’à leur qualification juridique et à leur imputabilité.

L’Autorité souligne, à cet égard, que l’entreprise qui entend bénéficier de la procédure de transaction ne doit présenter ultérieurement aucun argument remettant en cause, directement ou indirectement, la validité de la notification de griefs. A défaut de quoi, le collège de l’Autorité considèrera que l’entreprise renonce au bénéficie de la transaction (pt.15).

Néanmoins, l’entreprise peut présenter des observations sur les éléments susceptibles d’être pris en considération par le collège pour déterminer le montant de la sanction pécuniaire qui pourrait être prononcée (pt.16).

S’agissant ensuite du déroulement de la procédure de transaction devant les services d’instruction : le communiqué confirme d’abord le large pouvoir d’appréciation dont bénéficie le rapporteur général pour évaluer l’opportunité du recours à cette procédure.

En particulier, il est précisé que l’Autorité entend privilégier la mise en œuvre de la procédure de transaction dans les affaires dans lesquelles l’ensemble des parties renonce à contester les griefs et sollicite le recours à cette procédure (pt.19).

Le rapporteur général est libre de mettre fin à tout moment aux discussions préparatoires amorcées avec les entreprises concernées, tout comme celles-ci peuvent renoncer à poursuivre la procédure.

L’Autorité précise par ailleurs, s’agissant de la fourchette de sanctions déterminée au cours des discussions préparatoires, que les principes définis par le communiqué sanction du 16 mai 2011 peuvent constituer un point de référence pertinent. Si l’entreprise propose également de prendre des engagements, le rapporteur général pourra décider de les prendre en compte dans la détermination de la fourchette (pts.22 et 23).

Il est important de souligner que tous les documents ou pièces transmises par les parties au cours de la phase préparatoire ne seront pas versés au dossier d’instruction (pt.24). Néanmoins, les engagements proposés par l’entreprise visée peuvent être transmis à la partie saisissante (pt.36).

A l’issue des discussions préparatoires, et en cas d’accord sur la proposition de transaction, l’entreprise et le rapporteur général signent un procès-verbal de transaction. Ce procès-verbal n’est communicable ni autres parties à la procédure, ni à des tiers.

S’agissant enfin de la décision du collège : le communiqué souligne que le collège peut décider d’un renvoi à l’instruction, s’il estime que les conditions pour le prononcé d’une sanction dans la fourchette indiquée dans le procès-verbal ne sont pas réunies. Ce renvoi rend caduc le procès-verbal de transaction signé (pt.33).

Concrètement, le renvoi à l’instruction implique la communication par les services d’instruction d’une nouvelle notification de griefs aux entreprises visées, ce qui rouvre le droit pour ces dernières de négocier une nouvelle transaction avec le rapporteur général.

On peut cependant regretter que le communiqué de l’Autorité ne précise pas les critères qui seront retenus par le collège pour refuser de prononcer une sanction dans la fourchette indiquée dans le procès-verbal de transaction, et ce d’autant plus que les décisions de renvoi à l’instruction ne peuvent faire l’objet d’aucun recours par les entreprises concernées. Un tel renvoi constituerait quoi qu’il en soit un échec de la procédure de transaction, qui vise précisément à faciliter l’adoption de décisions dans des délais réduits.

Par ailleurs, lorsque la procédure de transaction concerne plusieurs entreprises, le collège peut décider de scinder la séance en deux temps. Les entreprises sont d’abord réunies lors d’une séance commune, avant d’être entendues séparément par le collège.

C’est dans cette deuxième partie de la séance que l’entreprise peut faire part de ses observations sur la fixation du montant de la sanction dans les limites prévues par le procès-verbal et sans remettre en cause les faits et les qualifications retenues dans la notification de griefs (pt.35).

Enfin, lorsque le collège estime, au cours de la séance que les engagements proposés par l’entreprise ne sont pas acceptables en l’état, mais que l’entreprise propose des modifications pertinentes, le collège peut s’affranchir du procès-verbal de transaction pour rendre obligatoire les engagements améliorés, tout en prononçant une sanction pécuniaire tenant compte de la fourchette figurant dans le procès-verbal.

 Lutte contre le géoblocage sur internet : Entrée en vigueur du règlement n°2018/302

Le 3 décembre dernier est entré en vigueur le Règlement européen n°2018/302 visant à contrer les pratiques de géoblocage consistant à empêcher des clients situés dans un Etat membre d’accéder à des produits ou des services proposés sur un site internet établi dans un autre Etat membre pour des motifs liés à la nationalité, au lieu de résidence ou d’établissement de ces clients.

L’objectif de ce Règlement est d’éviter le cloisonnement du marché et de permettre aux clients de bénéficier d’un choix plus large de produits et de services en ligne, en prohibant la discrimination basée sur des critères géographiques.

Les pratiques prohibées par le Règlement sont les suivantes :

(i) le fait pour un professionnel exploitant un site internet ou une application d’empêcher l’accès des clients situés dans un autre Etat membre d’accéder à son interface en ligne, par l’intermédiaire de procédés technologiques permettant de bloquer l’accès des clients aux interfaces visées ou de les rediriger vers leur équivalent local.

L’interdiction ne vise que le blocage ou la redirection automatique. Si le client donne son accord exprès pour cette redirection, celle-ci pourra intervenir. Dans ce cas, le client devra tout de même avoir accès facilement au site marchand qu’il souhaitait voir initialement.

(ii) le fait de pratiquer des conditions générales d’accès différentes pour les clients originaires d’autres Etats membres, sans justification objective. L’achat doit donc pouvoir se réaliser dans les mêmes conditions pour tous les ressortissants de l’Union Européenne.

Le respect de cette interdiction n’impose, en revanche, pas au professionnel de livrer ses produits dans tous les Etats Membres. Il ne signifie pas non plus que le professionnel est tenu de se conformer aux prescriptions légales nationales non-contractuelles applicables aux biens et services dans l’Etat membres du client.

Le Règlement n°2018/302 s’applique à tout professionnel dans ses relations avec des consommateurs ou d’autres professionnels, pour autant que l’acheteur soit l’utilisateur final du bien ou du service acheté. Sont dès lors exclus les achats pour revendre par des professionnels.

L’ensemble des ventes de biens et services sur internet est visé à l’exclusion des services financiers, de transport, de soins de santé, sociaux, ainsi que des contenus protégés par les droits d’auteurs.

A ce titre, on peut regretter que l’interdiction du géoblocage n’ait pas été étendue à l’ensemble des contenus numériques, y compris ceux qui sont protégés par des droits d’auteurs. Le Règlement prévoit ainsi un réexamen de son champ d’application dans un délai de deux ans suivant la publication du Règlement, puis tous les cinq ans.

A noter enfin, que le Règlement n°2018/302 sur le blocage géographique injustifié a été complété par une décision de la Commission européenne du 17 décembre 2018 sanctionnant la société d’habillement Guess pour avoir empêché ses détaillants de réaliser des campagnes publicitaires en lignes et de commercialiser leurs produits auprès de consommateurs d’autres Etats membres (géoblocage).

 La Commission sanctionne Guess à hauteur de 40 millions

Pas à pas la pratique décisionnelle dans le secteur de la distribution sélective s’enrichit et analyse les répercussions que le commerce électronique produit sur l’équilibre entre la tête de réseau et les distributeurs.

Dans la décision Guess qui a conduit à une sanction de près de 40 millions € (réduite de 50% pour cause de clémence), la Commission a sanctionné par décision du 17 décembre 2018 le fabricant d’habillement pour avoir empêché dans le cadre de son réseau de distribution sélective les détaillants de réaliser des campagnes publicitaires en ligne avec adWords et pour avoir subordonné la commercialisation des produits en ligne à une autorisation discrétionnaire de Guess, pour avoir interdit la vente par les détaillants dans d’autres Etats-membres et les ventes croisées entre grossistes et détaillants membres du réseau. Les détaillants ne pouvaient décider en toute indépendance du prix de détail qu’ils pratiquaient.

Cette pratique de géoblocage s’est accompagnée d’un niveau artificiellement élevé des prix de détail en particulier dans les pays d’Europe centrale et orientale (5 à 10% plus élevé).

Le mode de distribution retenu par Guess en Europe reposait sur une dissociation entre un réseau de vente en gros et un réseau de détaillants.

Dans certains Etats-membres c’est Guess Europe ou ses filiales qui jouaient le rôle de grossistes qui sélectionnaient les détaillants pour tous les produits.

Dans d’autres Etats-membres, le rôle de grossiste était partagé entre Guess Europe et ses filiales pour certains produits et des grossistes tiers pour d’autres produits. Dans ce cas, les grossistes tiers nationaux en charge de certains produits pré-sélectionnaient eux-mêmes au sein de leur zone des détaillants qui étaient ensuite agréés par Guess Europe en fonction de critères qualitatifs.

Les détaillants pouvaient être des magasins en propre de Guess Europe ou de ses filiales ou bien des détaillants tiers sélectionnés opérant en multimarques ou exclusifs.

Les pratiques mises en oeuvre visaient à favoriser Guess et ses filiales au détriment de revendeurs indépendants.

Cette décision vient compléter le règlement 2018/302 sur le géoblocage (v supra).

Elle invite à prendre davantage en compte le commerce électronique dans la refonte du règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux et aux lignes directrices que la Commission est en train d’évaluer.

 L’Autorité de la concurrence annonce ses priorités d’action pour 2019

Alors que 2019 marquera les 10 ans de la création de l’Autorité de la concurrence, celle-ci a détaillé dans un communiqué publié le 11 janvier 2019 les secteurs et thématiques d’action prioritaires pour l’année à venir, ainsi que ses objectifs de modernisation.

Sans surprise, le numérique continuera de constituer une priorité en 2019.

Le projet conjoint lancé avec l’Autorité de la concurrence allemande (Bundeskartellamt) sur les algorithmes devrait aboutir cette année, tandis que plusieurs enquêtes contentieuses sont actuellement en cours dans le secteur de la publicité en ligne.

L’Autorité rendra également deux avis sur les services de diffusion hertzienne et sur l’impact majeur du numérique sur le secteur audiovisuel et des médias.

La distribution sera encore un sujet central pour l’Autorité, notamment en ce qui concerne les centrales d’achat et de référencement. La Loi EGalim du 30 octobre 2018 a en effet renforcé le dispositif de contrôle de ces accords par l’Autorité de la concurrence en lui donnant de nouveaux moyens d’action. Plusieurs enquêtes sont d’ailleurs en cours concernant le rapprochement à l’achat dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire. hw&h est particulièrement impliqué dans l’une d’entre elles.

Les secteurs de la santé, de l’énergie et de l’outre-mer feront par ailleurs l’objet de plusieurs avis au cours de l’année.

Parallèlement à son action, l’Autorité de la concurrence poursuivra sa démarche de modernisation de son cadre juridique et de ses modes de fonctionnement.

L’Autorité mettra ainsi en place en 2019 les réformes amorcées en 2018 qui visent à simplifier le contrôle des concentrations en allégeant les informations demandées aux entreprises dans un grand nombre de cas et en mettant en place une procédure de notification entièrement dématérialisée.

L’Autorité devrait par ailleurs voir ses pouvoirs renforcés dans le cadre de la transposition de la directive européenne ECN+, qui harmonise les pouvoirs de l’ensemble des autorités de concurrence européennes (v. infra).

Enfin, poursuivant son exercice de pédagogie, l’Autorité publiera un guide visant à expliciter le droit de la concurrence à destination des PME. Elle organisera également un « rendez-vous », dont la forme n’est pas précisée, avec les entreprises, avocats et juristes, pour tirer les premières leçons du développement des actions indemnitaires liées aux pratiques anticoncurrentielles.

 Réseau Européen de concurrence : Publication de la Directive ECN+

La Directive 2019/1, dite ECN+, visant à doter les autorités de concurrence des Etats Membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur a été publiée le 14 janvier 2019.

L’objectif de la directive est de permettre aux autorités de concurrence européennes de mener leur action en toute indépendance et avec les ressources nécessaires, en utilisant un même socle de pouvoirs renforcés d’enquête et de décision et avec des pouvoirs d’assistance mutuelle élargis.

Pour l’Autorité de la concurrence française, la directive implique un pouvoir renforcé sur les points suivants :

• L’Autorité aura désormais l’opportunité de consacrer ses ressources aux affaires correspondant à ses priorités (« opportunité des poursuites ») ;

• Elle disposera de la faculté de se saisir d’office pour imposer des mesures conservatoires ;

• La directive consacre la possibilité pour l’Autorité d’imposer des mesures « structurelles » aux entreprises en cas de pratiques anticoncurrentielles ;

• Toutes les entreprises seront soumises au même plafond, ce qui conduira à supprimer le plafond de 3 millions d’euros qui était applicable aux « organismes » ou associations d’entreprises, tels les syndicats ou ordres professionnels, qui d’exposeront désormais à des sanctions à hauteur du total des ressources de leurs membres.

Ces dispositions devront faire l’objet d’une transposition en droit français dans le délai de deux ans prévu par la directive. La transposition pourrait se faire par ordonnance. La question est actuellement en débat devant le Parlement dans le cadre de la Loi Pacte.