Concurrence Distribution Consommation n°3/2021
- NewsletterDu côté de Bruxelles
Google à nouveau sous la loupe de la Commission européenne pour un potentiel comportement anticoncurrentiel dans le secteur des technologies de publicité en ligne
La Commission européenne vient d’ouvrir une enquête contre Google afin de déterminer si celle-ci a commis des pratiques anticoncurrentielles en favorisant ses propres services de technologies d’affichage publicitaire en ligne au sein de sa chaîne de fourniture de technologies publicitaires (« ad tech »), au détriment de prestataires de services de technologie publicitaire, d’annonceurs et d’éditeurs en ligne concurrents. L’enquête doit déterminer si Google fausse la concurrence en limitant l’accès de tiers aux données des utilisateurs à des fins publicitaires sur des sites web et des applications, tout en réservant ces données pour son propre usage.
Google fournit en effet de nombreux services de technologie publicitaire jouant un rôle d’intermédiation entre les annonceurs et les éditeurs en vue de l’affichage d’annonces publicitaires sur des sites web ou des applications mobiles.
Parmi ceux-ci, il est possible de nommer :
- Google Ads, la régie publicitaire de Google qui affiche des annonces ou bannières soit sur Google soit sur le réseau partenaires Display ;
- Google Marketing Plateform qui intègre:
- Campaign Manager 360, une solution de gestion publicitaire et de diffusion d’annonces ;
- Display & Video 360, un outil pour la planification, la gestion et l’optimisation des campagnes publicitaires ;
- Search Ads 360, une plateforme de gestion d’annonces qui permet aux agences et aux spécialistes du marketing de gérer efficacement des campagnes de search marketing dans plusieurs moteurs et canaux média ;
- etc ;
- Google Ad Manager, un gestionnaire de campagnes publicitaires en ligne pour site web ;
- Google Ad Exchange, une place de marché qui offre un pool d’impressions publicitaires aux acheteurs par le biais d’enchères en temps réel.
Dans le cadre de son enquête, la Commission européenne annoncer qu’elle examinera les pratiques suivantes1 :
- l’obligation de recourir aux services Display & Video 360 («DV360») et/ou Google Ads de Google pour acheter des affichages publicitaires en ligne sur YouTube;
- l’obligation d’utiliser Google Ad Manager pour offrir des affichages publicitaires en ligne sur YouTube, de même que les restrictions potentielles imposées par Google quant à la manière dont les services concurrençant Google Ad Manager sont en mesure de proposer des affichages publicitaires en ligne sur YouTube;
- l’avantage apparent conféré à Ad Exchange (AdX) de Google par DV360 et/ou Google Ads, ainsi que l’avantage potentiel conféré à DV360 et/ou à Google Ads par AdX;
- les restrictions imposées par Google en ce qui concerne la capacité de tiers, tels que les annonceurs, les éditeurs ou les intermédiaires concurrents dans le domaine de l’affichage publicitaire en ligne, d’accéder aux données relatives à l’identité ou au comportement des utilisateurs, données qui sont disponibles pour les propres services d’intermédiation publicitaire de Google, y compris Doubleclick ID;
- le projet de Google d’interdire le placement de «cookies» tiers sur Chrome et de les remplacer par la panoplie d’outils «Privacy Sandbox», y compris son incidence sur les marchés de l’affichage publicitaire en ligne et de l’intermédiation en matière d’affichage publicitaire en ligne;
- le projet de Google de ne plus mettre l’identifiant publicitaire à la disposition de tiers sur les appareils mobiles intelligents de type Android lorsqu’un utilisateur renonce à la publicité personnalisée, ainsi que son incidence sur les marchés de l’affichage publicitaire en ligne et de l’intermédiation en matière d’affichage publicitaire en ligne.
La Commission rappelle que si ces pratiques sont avérées, elles pourraient constituer des infractions aux articles 101 et/ou 102 TFUE et donner lieu à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires des entreprises concernées2.
La Commission annonce par ailleurs qu’elle « tiendra compte de la nécessité de protéger la vie privée des utilisateurs, conformément à la législation de l’UE en la matière, dont le règlement général sur la protection des données (RGPD). Le droit de la concurrence et la législation en matière de protection des données doivent être appliqués conjointement pour garantir que les marchés de l’affichage publicitaire offrent des conditions de concurrence égales, permettant à l’ensemble des acteurs du marché d’assurer de la même manière la protection de la vie privée des utilisateurs ».
La prise en compte du droit des données personnelles, qui avait pris un tournant lors de l’affaire Facebook devant le Bundeskartellamt en Allemagne3, dont un renvoi préjudiciel sur ce sujet est précisément en cours devant la CJUE4, est donc de plus en plus d’actualité dans l’analyse concurrentielle et bouleverse la conception classique des objectifs du droit de la concurrence.
.
En France
Obstruction à l’instruction : Fleury Michon paye cher sa restructuration interne !
Par une décision n°21-D-10 du 3 mai 2021, l’Autorité de la concurrence a sanctionné Fleury Michon à hauteur de 100.000 euros d’amende pour obstruction à l’instruction dans l’affaire dite du cartel du jambon et de la charcuterie.
Pour rappel, dans cette affaire, plusieurs industriels, parmi lesquels Fleury Michon et Fleury Michon Charcuterie, ont été condamnés par une décision n°20-D-09 du 16 juillet 2020 à une sanction globale de 93 millions d’euros pour s’être entendus en vue de la baisse des prix d’achat des pièces de jambon auprès des abatteurs et de la hausse des prix de revente à la grande distribution pour les produits sous marque de distributeurs ou « premiers prix ».
Or, il s’avère qu’au cours de l’instruction, Fleury Michon a opéré une restructuration interne consistant en une fusion-absorption de Fleury Michon Charcuterie par la société Fleury Michon Traiteur (devenue Fleury Michon LS).
L’Autorité de la concurrence reproche au groupe Fleury Michon de ne pas avoir informé les services d’instruction de cette restructuration interne, mais aussi d’avoir entretenu l’apparence de la stabilité de sa structure juridique en déposant des observations en réponse au nom de Fleury Michon Charcuterie, alors que cette société n’existait plus.
Fleury Michon aurait ainsi pu compromettre l’efficacité de l’action des services d’instruction qui auraient pu ne pas être en mesure d’identifier les personnes morales auxquelles il convenait d’imputer et de notifier les griefs.
L’Autorité de la concurrence y voit un manquement à l’article L 464-2, V, alinéa 2 du code de commerce et plus particulièrement à l’obligation de collaboration active et loyale des sociétés faisant l’objet d’une investigation.
Cette disposition, qui a pourtant été déclarée contraire à la Constitution par une décision n°2021-892 QPC du 26 mars 2021 rendue par le Conseil constitutionnel, restait en effet applicable aux procédures en cours lorsque l’entreprise poursuivie n’avait pas fait préalablement l’objet de poursuites pour s’être opposée aux pouvoirs d’enquête des agents de l’Autorité de la concurrence (L. 450-8 du code de commerce).
En outre, la décision d’inconstitutionnalité porte uniquement sur la rédaction du texte entre le 9 mars 2017 et le 3 décembre 2020, l’article L.464-2, V, alinéa 2 du code de commerce ayant été modifié par la loi du 3 décembre 2020.
À la suite de cette décision, l’article L.464-2, V du code de commerce a été modifié par une Ordonnance n°2021-649 du 26 mai 2021 qui précise notamment que lorsqu’il est fait application de cette disposition « l’entreprise ou l’association d’entreprises concernée ne peut faire l’objet de poursuite pénales au titre des mêmes faits ». L’article L. 450-8 du code de commerce a également été modifié dans ce sens.
Les entreprises qui sont sous le coup d’une enquête de l’Autorité de la concurrence ont donc bien intérêt à rester vigilantes et à ne causer aucune obstruction à l’instruction, au risque de se voir sanctionner comme l’a été Fleury Michon !
.
OVS & Secret des correspondances avocat-clients : le périmètre de la protection en question
À l’occasion de deux arrêts récents, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le périmètre de la protection des correspondances entre un avocat et son client dans le cadre des opérations de visite et saisies (OVS) qui sont réalisées au cours d’une enquête de concurrence (régies par l’article L. 450-4 du code de commerce).
Le secret professionnel de l’avocat couvre en principe « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention » officielle « , les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier » (art. 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971).
Dans son arrêt du 25 novembre 2020, relative aux OVS réalisées en 2018 chez la société Au vieux campeur, la Cour de cassation a cependant considéré que si les correspondances entre un avocat et son client ne peuvent pas être saisies, c’est à la condition que ces correspondances soient en lien avec l’exercice du droit de la défense du client (pts 6 et suivants de l’arrêt).
Ce faisant, la Cour de cassation a harmonisé sa position avec celle existant depuis longtemps en droit de l’Union européenne (CJUE, 14 sept. 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals c/ Commission, pt. 41).
La question se posait cependant de savoir si le droit de la défense en question est celui lié au seul dossier de concurrence à l’origine des OVS ou bien s’il s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client, tous dossiers confondus.
Dans son arrêt du 20 janvier 2021, dans le secteur de l’énergie, la Cour de cassation fournit un élément de réponse en précisant que « cette protection s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense » (pt. 31).
Si la précision apportée par ce second arrêt est plutôt rassurante, elle laisse néanmoins un flou sur le régime applicable à des consultations ou des notes réalisées par l’avocat pour son client dans le cadre d’une prestation de conseil et dont il est permis de se demander si la Cour jugerait qu’ils relèvent de « l’exercice des droits de la défense » ou non.
La prudence s’impose donc.
Cependant, une lueur d’espoir réside dans la loi sur la confiance dans l’institution judiciaire qui est actuellement en cours de discussion au Parlement. L’article 3 du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en première lecture associe en effet le secret tant au conseil qu’à la défense, en ces termes :
« Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le III de l’article préliminaire est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66‑5 de la loi n° 71‑1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code. »
Il reste à voir comment le texte, s’il est adopté dans cette version par le Sénat, sera ensuite interprété par les juges.
.
Charte de mise en avant des produits frais et locaux en grande distribution : Quand l’Autorité de la concurrence se saisit d’une initiative…du ministre de l’Agriculture
Selon une information de la LSA, l’Autorité de la concurrence aurait récemment ouvert une enquête concernant la validité de la Charte d’engagement pour la mise en avant des produits frais agricoles, aquatiques et des produits locaux, signée par plusieurs acteurs de la grande distribution (Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U, Auchan, Casino, Monoprix, Franprix, Lidl, Cora et Aldi) en novembre 2020
Cette Charte a été mise en œuvre à l’initiative du ministre de l’Agriculture dans le prolongement des États Généraux de l’Alimentation. Elle poursuit le but louable de promouvoir l’accès du plus grand nombre à une alimentation saine, sûre, durable et locale.
Concrètement, les enseignes signataires se sont engagées à mettre en œuvre tout au long de l’année des actions visant à :
- rendre visible et accessibles les mentions d’origine des produits
- valoriser les produits frais dans les raisons sous une bannière commune « Engagement, provenance et fraicheur : plus près de vous et de vos goûts »
- mettre en avant les produits locaux et les produits sous signe de qualité.
Ces actions, développées depuis fin février 2021 et pour une durée d’un an, ont vocation à être déclinées sur d’autres circuits de distribution ultérieurement.
Les conclusions de l’enquête de l’Autorité de la concurrence pourraient bien mettre un coup d’arrêt à cette initiative. Si on comprend les préoccupations de l’Autorité de la concurrence qui veille à stopper toute entente anticoncurrentielle entre acteurs de la grande distribution, il est permis de s’interroger sur la capacité des pouvoirs publics dans ce contexte à proposer des orientations en faveur des consommateurs qui seraient appliquées par l’ensemble des acteurs de la grande distribution. Affaire à suivre donc.
.
Négociations commerciales dans le secteur de l’alimentation : une réforme et un nouveau casse-tête en perspective !
A peine mise en œuvre, aussitôt réformée : c’est le sort qui attend la loi EGalim du 30 octobre 2018. La proposition de loi « visant à protéger la rémunération des agriculteurs », portée par le député Besson-Moreau, vise en effet à réformer une fois encore le Code rural et de la pêche maritime, ainsi que le code de commerce en vue des négociations 2022.
Cette proposition, très observée par les professionnels du secteur de la distribution alimentaire, est l’aboutissement d’un long processus qui a débuté dès septembre 2019 avec les travaux la commission d’enquête, et qui s’est poursuivi avec la 1er proposition de loi de Grégory Besson-Moreau en juin 2020, le rapport Benoit puis le rapport Papin en mars dernier (voir notre newsletter n°02/2021).
En synthèse, les principales réformes proposées par cette 2nde proposition de loi Besson-Moreau sont les suivantes :
- Fixer à 3 ans la durée minimale des contrats de vente entre un producteur de produits agricoles et son premier acheteur. Lorsque ces contrats sont conclus à prix fixes, ils devront prévoir une formule de révision automatique des prix appuyée sur les indicateurs agricoles mis en place par la loi EGalim (L.631-24 du code rural et de la pêche maritime) ;
- Imposer la mention, dans les CGV des produits alimentaires, des matières premières agricoles utilisées et de leur prix d’achat. Ces informations devront être reprises dans la convention écrite conclue à l’issue de la négociation commerciale entre le fournisseur de produits alimentaires et son acheteur, étant précisé que ces éléments auront un caractère non-négociable. La convention écrite devra également inclure une clause de révision du prix.
- Création d’un comité de règlement des différends commerciaux agricoles compétent pour connaître des litiges pour lesquels la médiation aurait échoué. Ce comité pourra prononcer des injonctions, des astreintes, ainsi que des mesures conservatoires afin que les parties concluent ou modifient le contrat conformément à la législation.
- Imposer l’indication du pays d’origine des produits agricoles ;
- Soumettre à autorisation administrative toute publicité hors magasin sur les opérations de dégagement (écoulement des surproductions)
Si l’objectif de protection de la rémunération des agriculteurs est bien évidemment louable, le dispositif envisagé révèle la difficulté à le concilier avec les réalités de la négociation commerciale.
Alors que les dispositions relatives aux indicateurs agricoles introduites par la loi EGalim ont déjà été difficiles à mettre en œuvre, les professionnels vont encore se heurter à des difficultés d’application pratique si la proposition de loi Besson-Moreau est adoptée.
Comment imaginer en effet que les industriels alimentaires puissent indiquer dans leurs CGV un inventaire à la Prévert des matières premières agricoles entrant dans la composition de chacun de leurs produits et le prix ou les critères de détermination du prix d’achat de chacune de ces matières premières ?
Comment faire lorsque le producteur et le premier acheteur n’ont pas mentionné ces informations dans leur contrat ou que le premier acheteur ne les a pas reportées dans ses CGV ?
On peut également s’interroger sur la conformité au droit de la concurrence d’une telle transparence sur les prix, en particulier lorsque l’industriel est à la fois fournisseur de produits MDD pour un distributeur et son concurrent sur sa marque propre.
Malgré ces critiques, dont certaines sont relayées par les organisations professionnelles, cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 24 juin dernier.
Une entrée en vigueur en vue des négociations commerciales pour 2022 n’étant pas à exclure, les opérateurs de la distribution alimentaire ont du souci à se faire pour la mise en œuvre de ce nouveau dispositif, qui se révèlera, à n’en pas douter et à l’image des réformes EGalim et Loi ASAP, être un véritable casse-tête !
.
Pratiques restrictives : Leclerc échappe à une sanction de 108 millions d’euros et fait plier Bercy !
Par un jugement du 11 mai 2021, le Tribunal de commerce de Paris a débouté le Ministre de l’Economie et des Finances de ses demandes formulées à l’encontre du Groupement d’achat E. Leclerc (Galec) sur le fondement de l’ancien article L.442-6, I 1° du code de commerce au titre de remises injustifiées de 10% que Leclerc aurait imposées à une vingtaine de ses fournisseurs pendant trois ans.
La victoire est de taille pour Leclerc qui encourait, outre la nullité des contrats conclus avec les fournisseurs, la condamnation à une amende de 25 millions d’euros et à la restitution des sommes indûment perçues à hauteur de 83 millions d’euros. Le Ministre est finalement condamné à verser à Leclerc une indemnité de 20.000 euros.
Cette décision a été rendue à la suite d’une enquête menée par la DGCCRF entre 2015 et 2017 sur la pratique de Leclerc qui consistait à solliciter systématiquement une remise de 10% sur les produits de marque nationale qui étaient également présents chez Lidl. On a pu parler à l’époque de « taxe Lidl ».
Le Ministre de l’Economie et des Finances considère qu’une telle remise constitue un avantage sans contrepartie contrevenant aux dispositions de l’article L.442-6, I 1e du code de commerce dans sa version antérieure à la réforme (nouvel article L. 442-1 II du code de commerce) , qui prohibait le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial affectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.
Le Tribunal de commerce de Paris n’est pas de cet avis puisqu’il retient que cette disposition ne vise que la proportion entre le service rendu par le distributeur et l’avantage économique consenti par le fournisseur. Or, dans le cas présent, l’avantage consenti était une remise et non pas la rémunération d’un service. Le Tribunal de commerce considère donc que cette disposition n’est pas applicable au cas d’espèce.
Il est permis de s’étonner de prime abord de cette décision dans la mesure où la Cour d’appel de Paris a considéré, dans un arrêt Gelco France/EMC du 13 septembre 2017, que la notion de service commercial visée à l’article L.442-6, I 1e du code de commerce n’est pas limitée aux seuls services, ainsi que l’a estimé la Commission d’examen des pratiques commerciales, mais qu’elle s’applique également aux ristournes prévues dans les contrats conclus entre les parties.
Cela étant, le Tribunal de commerce fait ici application de la position retenue récemment par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 4 novembre 2020, aux termes duquel elle retient que l’article L.442-6, I, 1e relatif à l’avantage sans contrepartie ne peut être mobilisé et justifier une sanction qu’en cas de disproportion entre le prix payé et le service rendu. En revanche, ce texte ne s’applique pas au contrôle des réductions de prix.
On comprend dès lors que le Ministre aurait dû fonder sa demande sur l’existence d’un déséquilibre significatif (article L.442-6, I, 2° c.com) pour espérer la voir prospérer.
Il est probable que Bercy fasse appel de la décision et l’on peut espérer que la Cour d’appel de Paris fournira un éclairage utile sur l’application de ces dispositions. Plus largement, il conviendra en outre de s’interroger sur la possibilité d’appliquer le nouvel article L. 442-1, II du code de commerce aux réductions de prix dans la mesure où cette nouvelle disposition ne vise que les avantages sans contreparties et non plus les services. Nous y reviendrons.
.
En Allemagne
Le nouveau § 19a de la GWB et son utilisation par le Bundeskartellamt – Vers l’encadrement des Big Techs ?
Depuis le 19 janvier 2021, date à laquelle la 10e réforme de la GWB (la loi allemande contre les restrictions de concurrence) est entrée en vigueur (voir notre Newsletter du 7 mai 2021), le nouveau § 19a de la GWB, destiné à contrôler le pouvoir des „gatekeepers“ sur les marchés numériques, est désormais applicable. Le Bundeskartellamt (l’autorité de la concurrence allemande) est ainsi habilité à identifier, parmi les entreprises ayant une activité sur un marché multilatéral, celles qui ont une position clé sur différents marchés et un impact prépondérant sur la concurrence. Ces entreprises peuvent alors se voir interdire certains comportements potentiellement anticoncurrentiels, énumérés dans le § 19a de la GWB. La mise en oeuvre de cette disposition se déroule donc en deux étapes : dans un premier temps, le Bundeskartellamt doit constater l’impact prépondérant de l‘entreprise. Dans un deuxième temps, il peut procéder à l’interdiction d’un des comportements énumérés.
Le Bundeskartellamt n’a pas hésité à faire usage de cette nouvelle disposition immédiatement après son entrée en vigueur. Plusieurs procédures ont déjà été engagées sur la base du § 19a de la GWB, toutes contre des entreprises bien connues du secteur des nouvelles technologies :
- Dans le cadre d’une enquête déjà ouverte contre Facebook en décembre 2020, relative à la mise en relation des services de Facebook avec son casque de réalité virtuelle Oculus, le Bundeskartellamt a élargi la procédure pour inclure le nouveau § 19a de la GWB (voir communiqué de presse du 28 janvier 2021).
- Une deuxième procédure portant sur le constat d‘un impact prépondérant pour la concurrence a été ouverte à l’encontre d’Amazon en mai 2021 (voir communiqué de presse du 8 mai 2021). Pour l’instant, l’autorité de la concurrence allemande n’envisage pas d’interdire un comportement spécifique d’Amazon. Toutefois, si l’impact prépondérant d’Amazon devait se confirmer, le Bundeskartellamt pourra réagir plus rapidement par la suite et interdire un tel comportement dès son émergence, le constat de l’impact prépondérant étant valable pour une période de cinq ans.
- Toujours en mai 2021, le Bundeskartellamt a engagé deux procédures contre Google en vertu du § 19a de la GWB (voir communiqué de presse du 25 mai 2021). Ici, l’autorité n’examine pas seulement l’existence d’un impact prépondérant pour la concurrence, mais aussi, en parallèle, un comportement concret de Google, à savoir ses conditions de traitement des données. L’autorité souhaite examiner si les utilisateurs ont suffisamment de choix sur l‘utilisation de leurs données. En vertu du 19a al. 2 n° 4 a) de la GWB, l’un des comportements pouvant être interdits à une entreprise est le fait de « subordonner l’utilisation des services de l’entreprise à l’accord des utilisateurs pour le traitement de leurs données provenant d’autres services fournis par l’entreprise en cause (ou par ses prestataires de services) sans qu’elles aient le choix quant aux circonstances, à la finalité et aux modalités de l’utilisation de ces données ».
- Une troisième enquête a été engagée à l’encontre de Google en juin 2021. Un tout nouveau service est mis à l’épreuve – il s’agit du Google News Showcase (voir communiqué de presse du 4 juin 2021). Dans le cadre de ce service, Google propose une coopération avec les éditeurs et la présentation des articles de presse dans Google Actualités et dans son moteur de recherche. Le Bundeskartellamt examinera si cette offre pourrait évincer les concurrents du marché et si les éditeurs participants seront traités de manière appropriée et non discriminatoire dans les conditions d’utilisation.
- Enfin, en juin 2021, l’autorité de la concurrence allemande a ciblé la quatrième des GAFAs, le groupe Apple (voir communiqué de presse du 21 juin 2021). Le Bundeskartellamt souhaite, dans un premier temps, vérifier si Apple a pu acquérir une position clé sur différents marchés et un impact prépondérant sur la concurrence via ses nombreux produits hardware comme l’iPhone et ses services numériques comme l’Apple Playstore. Après cette première étape, le Bundeskartellamt envisage d’examiner plusieurs pratiques commerciales par lesquelles ce géant de la technologie semble privilégier ses propres services par rapport à ceux d’autres prestataires. Il s’agit, par exemple, de la préinstallation exclusive de ces propres applications. La décision finale sur l’ouverture d’une telle enquête sera prise ultérieurement.
Pour le Bundeskartellamt, un critère pertinent pour déterminer l’impact prépondérant d’une entreprise pour la concurrence est l’existence d‘un écosystème s’étendant sur plusieurs marchés. Selon le Bundeskartellamt, un tel écosystème permettrait à une entreprise de développer une position de puissance économique qui est difficile à attaquer. Dans le cas de ces quatre grandes entreprises technologiques, ceci semble être le cas : Facebook dispose d’une large gamme de services avec ses applications de communication telles que Facebook, WhatsApp et Instagram. Ceci est également vrai pour Amazon, qui a sa place de marché en ligne et ses autres services numériques tels que Amazon Prime. Google couvre divers marchés avec, par exemple, son moteur de recherche Google, le navigateur Chrome ou la plateforme des vidéos YouTube. Dans le cas d’Apple, c’est l’intégration verticale du groupe et sa large gamme de produits hardware et software qui caractériserait un tel écosystème.
Nous constatons donc une forte motivation de la part du Bundeskartellamt à examiner de plus près les pratiques commerciales des entreprises du Big Tech. Il sera certainement bientôt possible d’observer les effets de ce contrôle approfondi sur le marché et sur les consommateurs.
.
Et chez hw&h
Webinaire « benchmaking et concurrence »
L’équipe concurrence-distribution de hw&h a organisé un webinaire le 3 juin 2021 sur la question peu traitée du regard que portent les autorités de concurrence sur les actions de benchmarking que mènent les entreprises. Une occasion appréciée par les participants qui leur a permis de découvrir les ressorts de la matière et prendre la mesure des risques encourus et des précautions à prendre. L’équipe reste disponible pour répondre aux questions particulières !
.
Publication
Dominique Heintz publie dans la 5ème édition à paraître en juin 2021 chez Otto Schmidt le chapitre sur la France dans le livre collectif sous la direction de B.Heussen et G. Pischel intitulé « Handbuch Vertragsverhandlung und Vertragsmanagement ».
Il y est question des principales règles qui entourent la négociation des contrats depuis la réforme de 2016 et de conseils pratiques à destination des négociateurs allemands dans leur négociation avec des Français.
.
- Commission européenne, communiqué de presse du 22/06/2021, IP 21/3143 [↩]
- Art. 23 §2. Du Règlement n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité [↩]
- Bundeskartellamt, Déc. n° B6-22/16, 6 février 2019 [↩]
- Renvoi de l’Oberlandesgericht Düsseldorf du 24/03/2021, Demande de décision préjudicielle affaire C-252/21 https://curia.europa.eu/juris/showPdf.jsf?text=&docid=242143&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=20933834 [↩]