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Allemagne : Covid-19 et paiement des loyers II

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1. La fermeture obligatoire des locaux commerciaux au printemps 2020 en raison des mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 a donné lieu à de nombreux litiges entre bailleurs et preneurs

Afin de justifier le non-paiement du loyer pendant la période de fermeture administrative, les preneurs ont invoqué différents fondements :

  • le défaut de la chose louée (« Mangel des Mietgegenstandes») : la fermeture administrative constituerait un défaut de la chose louée la rendant impropre à l’usage contractuel au sens du 536 du code civil allemand (« Bürgerliches Gestetsbuch » (BGB)), justifiant une réduction du loyer à hauteur de 100% ;
  • l’impossibilité (« Unmöglichkeit») : en raison de la fermeture administrative, le bailleur serait dans l’impossibilité, au sens du § 275 BGB, de mettre la chose louée à la disposition du preneur pour l’usage prévu au contrat, ce qui entraînerait l’extinction de l’obligation de payer le loyer conformément au § 326 I BGB. Cette impossibilité présuppose donc l’existence d’un défaut de la chose louée.
  • les troubles du fondement du contrat (« Störung der Geschäftsgrundlage») au sens du § 313 BGB, permettant une renégociation du contrat.

Sur le fondement du §313 BGB, dont s’est d’ailleurs inspiré notre article 1195 du Code civil, le juge peut adapter le contrat aux circonstances nouvelles ou le dissoudre.

Pour ce faire il faut que les trois conditions suivantes soient remplies : (i) un changement significatif des circonstances qui ont constitué le fondement du contrat intervenu postérieurement à la conclusion du contrat, (ii) les parties contractantes n’auraient pas conclu le contrat ou ne l’auraient pas conclu aux mêmes clauses et conditions si elles avaient pu prévoir un tel changement, (iii) la poursuite de l’exécution du contrat est intolérable pour l’une des parties, au regard des circonstances particulières du cas d’espèce, et plus spécifiquement de la répartition contractuelle ou légale des risques.

Comme en France, les contentieux initiés devant les juridictions allemandes ont donné lieu à des décisions contradictoires.

Par exemple, comme évoqué dans une précédente publication, le Tribunal judiciaire (« Landgericht », LG) de Munich I a, dans son jugement du 22 septembre 2020, considéré que la fermeture administrative due à l’épidémie de covid-19, était constitutive d’un défaut de la chose louée justifiant une réduction du loyer.

En sens contraire, les tribunaux judiciaires de Zweibrücken et de Heidelberg n’ont retenu ni un défaut de la chose louée ni un cas d’impossibilité dès lors d’une part, que les décisions de fermeture administratives due à l’épidémie de covid-19, n’étaient pas liées à la qualité, à l’emplacement ou à l’état de la chose louée, mais à l’activité du preneur et d’autre part, que la chose louée continuait d’être adaptée à l’usage contractuel de la même manière qu’elle l’était avant la fermeture : seule son exploitation était interdite mais pour des raisons autres que des raisons liées à la qualité ou la localisation du bien loué, de sorte que cette circonstance relevait de la sphère de risque du locataire (LG Heidelberg, jugement du 30 juillet 2020 (5 O 66/20)) ; LG Zweibrücken, jugement du 11 septembre 2020 (HK O 17/20)). Ces juridictions ont par ailleurs considéré qu’il n’y avait pas lieu à adaptation du contrat de bail sur le fondement du §313 BGB.

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2. Le législateur s’en est entre temps mêlé

Ainsi, deux nouvelles dispositions ont été introduites dans la loi d’introduction au code civil allemand (« Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch » (EGBGB)).

  •  La première, l’article 240 § 2 EGBGB, a été introduite par la loi du 27 mars 2020 entrée en vigueur le 1er avril 2020.

Cet article interdit au bailleur de résilier le bail en raison du non-paiement du loyer pendant la période du 1er avril 2020 au 30 juin 2020, à la condition cependant que le défaut de paiement soit dû aux effets de l’épidémie de Covid-19.

Il n’a toutefois pas vocation à supprimer l’obligation de paiement du loyer elle-même.

  • La seconde, l’article 240 § 7 EGBGB, a été introduite plus récemment par la loi du 22 décembre 2020, entrée en vigueur le 31 décembre 2020.

Aux termes de cet article, il est présumé que les circonstances, au sens du § 313 (1) BGB, qui ont constitué le fondement du contrat de bail, ont changé de manière significative après sa conclusion, dans le cas où le local commercial ne peut plus être utilisé ou n’être utilisé qu’avec des restrictions importantes en raison des mesures étatiques prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.

Cette présomption légale ne concerne toutefois que la première condition d’application du § 313 (1) BGB (cf. supra (i)). Afin de bénéficier d’une renégociation de son contrat du bail, il appartient donc au preneur de démontrer que les autres conditions d’application du § 313 (1) BGB sont remplies, soit les conditions (ii) et (iii) susvisées.

Il s’agit en outre d’une présomption simple qui peut toujours être renversée par le bailleur.

Dans le cadre de l’adoption de cette disposition, le législateur a souligné que le risque de fermeture lié au Covid-19 ne devait pas être à la seule charge du locataire et que la perte de chiffre d’affaires était un signal fort de la nécessité d’adapter le contrat. Il a toutefois mis l’accent sur le fait que dans le cadre de l’examen du caractère tolérable ou non de la poursuite du contrat, il convenait de vérifier dans quelle mesure cette perte de chiffre d’affaires pouvait être compensée par les aides d’Etat et la réduction des dépenses du locataire (par exemple, en raison de l’allocation de chômage partiel), afin qu’il n’y ait pas « surcompensation » (« Überkompensation »).

Afin d’accélérer les procédures judiciaires relatives à l’ajustement des loyers commerciaux en raison des restrictions gouvernementales liées à l’épidémie de Covid-19, le nouveau §44 de la loi d’introduction au code de procédure civil (« Einführungsgesetz zur Zivilprozessordnung » (EGZPO)), entré en vigueur le 31 décembre 2020, prévoit par ailleurs que ces procédures doivent être traitées de manière prioritaire et accélérée et qu’une première audience doit être fixée au plus tard un mois après le dépôt de la réclamation.

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3. Le Tribunal judiciaire de Munich I et les Cours d’appel (« Oberlandesgericht », OLG) de Karlsruhe et de Dresde ont récemment eu l’occasion de statuer sur le fondement de ce nouvel article 240 §7 EGBG, dans des affaires concernant le non-paiement du loyer du mois d’avril 2020

Il sera au préalable relevé que toutes ces juridictions ont jugé que la fermeture administrative due à l’épidémie de Covid-19 ne constituait ni un défaut de la chose louée ni un cas d’impossibilité et ce, alors même que le Tribunal judiciaire de Munich I avait statué en sens contraire dans son jugement du 22 janvier 2020, en admettant le défaut de la chose louée (cf. supra).

Sur le fondement du trouble contractuel, seule la Cour d’appel de Dresde a par ailleurs admis qu’il y avait lieu à réduction du loyer.

Ainsi, par un arrêt du 24 février 2021 (Cour d’appel (« Oberlandesgericht » OLG) de Dresde, arrêt du 24 février 2021 – 5 U 1782/20), elle a jugé que la décision de fermeture obligatoire due à l’épidémie de Covid-19 constituait un trouble du fondement contractuel justifiant une exonération partielle de loyer à hauteur de 50%. Considérant qu’aucune des parties au contrat n’avait provoqué ce trouble, elle a en effet estimé que les conséquences de ce dernier devaient être équitablement supportées par les deux parties.

En sens contraire, par un arrêt du même jour et dans une affaire concernant le même preneur, l’enseigne de prêt-à-porter Kik, la Cour d’appel de Karlsruhe a condamné le preneur à payer l’intégralité du loyer facturé pendant la période de fermeture administrative (Cour d’appel (« Oberlandesgericht » OLG) de Karlsruhe, arrêt du 24 février 2021 – 7 U 109/20).

Après avoir rappelé que la présomption légale ne concernait que la première condition d’application du § 313 BGB et qu’aucune « surcompensation » ne pouvait avoir lieu, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas trouble du fondement contractuel en l’espèce, dès lors que le preneur n’avait pas rapporté la preuve que le maintien du paiement du loyer menaçait son existence économique et que sa perte de chiffre d’affaires n’avait pas été compensée par les ventes en lignes et les aides publiques.

Même si, contrairement à la Cour d’appel de Karlsruhe, le Tribunal judiciaire de Munich I a retenu, dans son jugement du 12 février 2021 (Tribunal judiciaire (« Landgericht », LG) de Munich I, arrêt du 12 février 2021 – 31 O 11516/20) que la condition tenant à la menace de l’existence économique du locataire n’était pas requise (celle-ci serait le « cas ultime » mais pas la condition minimale donnant lieu à une renégociation du contrat), le Tribunal a condamné l’enseigne C&A à payer l’intégralité du loyer du mois d’avril 2020.

Pour juger que le maintien du contrat initial n’était pas disproportionné, le tribunal a tenu compte des aides d’Etat qu’avait reçues l’enseigne et du fait que ses revenus issus des ventes en ligne avaient augmenté pendant le confinement.

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4. Compte tenu de ces décisions contradictoires, la situation restera juridiquement incertaine tant que la Cour de cassation (« Bundesgerichtshof ») ne se sera pas prononcée

Le pourvoi en cassation a été admis contre les arrêts rendus par les Cour d’appel de Karlsruhe et de Dresde.

Affaire à suivre donc…