Médias et droit d’auteur
- A la unePlusieurs décisions récentes des tribunaux allemands et européens contribuent à la clarification de questions relatives au droit d’auteur dans le secteur des médias.
Qualification juridique du « Framing » – clarification de la jurisprudence de la CJUE
La CJUE a déjà été confrontée à plusieurs reprises à des questions concernant la technique du « framing » (« transclusion »). Le « framing » consiste en l’incorporation de contenu d’autres sites web dans son propre site web sans avoir téléchargé le fichier incorporé. Les vidéos Youtube, en particulier, sont souvent intégrées par le biais du framing.
Jusqu’à présent, la CJUE s’est montrée généreuse envers les utilisateurs en ce qui concerne le framing. Dans une décision de 2014, elle avait considéré qu’il n’y avait pas de communication au public d’une œuvre au sens de l’art. 3 al. 1 de la Directive sur les droits d’auteur1 « dans la mesure où l’œuvre en cause n’[était] ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine ». Dans le cas du framing, aucun des deux critères n’était rempli. Si l’œuvre était déjà accessible sur le site internet d’origine sans aucune restriction, cela signifiait que le titulaire du droit l’avait rendue accessible à tous les internautes2. S’il n’y avait pas de communication au public de la part du site mettant en œuvre le framing, il ne pouvait pas non plus y avoir de violation du droit d’auteur.
Dans une décision récente, cependant, la CJUE a précisé dans quelles circonstances le « framing » peut néanmoins constituer une communication au public et donc aussi une infraction potentielle au droit d’auteur3. C’est le cas si le titulaire des droits a pris des mesures techniques afin d’empêcher le framing. L’incorporation d’un contenu en contournant ces mesures de protection constitue une mise à disposition à un nouveau public.
Les deux décisions, chacune d’elle rendue en réponse à une question préjudicielle de la Cour fédérale de justice allemande (le BGH), se complètent donc : la question de savoir s’il peut y avoir une violation du droit d’auteur par le biais d’un procédé de « framing » dépend de la mise en œuvre par le titulaire des droits de mesures de protection contre ce procédé. Néanmoins, si la réponse est désormais nette concernant les mesures de protection de nature technique, elle l’est moins concernant des mesures d’autre nature, telles que des conditions générales d’utilisation qui interdiraient expressément cette pratique.
.
La rémunération du caméraman de « Das Boot » – Un exercice de calcul
Il y a de nouveaux développements dans le litige concernant la rémunération du caméraman du film à succès « Das Boot » : le BGH a rendu une décision sur le calcul de la rémunération complémentaire et raisonnable que peut attendre le titulaire d’un droit d’auteur d’une œuvre à succès en application du § 32a du Code de la propriété intellectuelle allemand (UrhG)4.
Le § 32a UrhG est en vigueur depuis le 28 mars 2002. La disposition précise que l’auteur qui a concédé un droit d’utilisation à un tiers et qui a reçu en contrepartie une somme manifestement insuffisante et hors de proportion par rapport aux revenus et avantages tirés de l’utilisation de l’œuvre peut exiger la révision du contrat et une rémunération complémentaire et raisonnable.
C’est ce qui est arrivé au chef caméraman du film « Das Boot » qui avait participé à la réalisation du film en 1980/1981 et avait reçu en contrepartie un paiement forfaitaire d’environ 100 000 euros au titre d’un contrat « Buy-out ». Par la suite, le film a connu un grand succès au cinéma et à la télévision et a rapporté plusieurs millions d’euros.
Après avoir obtenu les informations nécessaires5 (notamment relatives aux recettes du film), le caméraman a introduit deux actions en paiement d’une rémunération supplémentaire sur la base du § 32a UrhG6.
Une première action avait été engagée contre la société de production, la WDR et le distributeur du film. La Cour d’appel (OLG) de Munich avait accordé au caméraman une rémunération supplémentaire d’environ 438 000 euros dans le cadre de cette procédure7.
Mais le BGH a annulé cette décision. Sans toutefois remettre en cause le principe même d’une rémunération complémentaire, la censure a porté sur le calcul du montant de ce droit par la Cour d’appel de Munich qui n’aurait pas dû prendre la rémunération forfaitaire globale versée au chef-cameraman comme base de calcul de la rémunération complémentaire due par chacun des défendeurs. Elle aurait plutôt dû examiner pour chaque défendeur quelle partie de la rémunération versée au caméraman était rattachable à l’utilisation spécifique de droits du défendeur concerné.
Une autre action, dirigée contre les chaînes de télévision publiques en tant que bénéficiaires de licences, a fait l’objet d’une décision de la Cour d’appel de Stuttgart qui avait également accordé une rémunération complémentaire au caméraman. Pour la même raison, la décision a été annulée par le BGH. Le calcul aurait dû être basé sur la partie de la rémunération rattachable à l’exploitation télévisuelle8.
Les deux cours devront donc effectuer à nouveau le calcul en prenant en compte les exigences du BGH. Cette affaire met en lumière la complexité du calcul de la rémunération complémentaire lorsque plusieurs distributeurs/exploitants sont concernés. Avec une complexité accrue dans le cadre de la procédure devant la Cour d’appel de Stuttgart, car les chaînes de télévision publiques défenderesses sont financées par les contributions publiques. Or cette circonstance a un impact sur le calcul de l’avantage que ces défenderesses perçoivent grâce à l’exploitation du film. Le BGH considère que l’économie des dépenses qui auraient été nécessaires pour remplacer l’œuvre par une autre œuvre dans le programme de télévision doit être prise en compte.
Il n’est, pour l’heure, pas certain que cette affaire ouvre la voie à de nombreux contentieux et vienne troubler la tranquillité des acquisitions de droits de diffusion faites par des chaînes de télévision. La durée et la complexité d’une procédure de révision de la rémunération d’un auteur pourraient certes décourager certains auteurs d’intenter une action en justice. En tout état de cause, le fait qu’il puisse y avoir un contrôle ex post de la rémunération, exercé par le juge, doit être pris en considération par les parties lors de la négociation d’un contrat relatif à l’exploitation des droits patrimoniaux d’un auteur.
.
Interdiction de la publicité régionale – Une atteinte à la libre prestation de services ?
Cette affaire intervient également dans le secteur audiovisuel, mais concerne cette fois-ci le droit de diffusion de la publicité régionale. Le § 7 al. 11 du Rundfunkstaatsvertrag, devenu le § 8 al. 11 du Medienstaatsvertrag9 des Länder allemands, interdit la publicité régionale dans le cadre d’un programme diffusé à l’échelle nationale. Les Länder peuvent s’en écarter individuellement, mais ne l’ont pas encore fait. L’interdiction vise à préserver la diversité des médias : la publicité régionale doit être réservée aux chaînes de télévision régionales afin qu’elles puissent bénéficier des recettes et assurer leur existence.
La chaîne de mode autrichienne Fussl Modestraße, qui exerce ses activités en Autriche et en Bavière, avait conclu un contrat avec SevenOne Media GmbH, la société de marketing du groupe ProSiebenSat.1, en vertu duquel une publicité pour Fussl devait être diffusée uniquement pour les téléspectateurs situés en Bavière dans le cadre de la programmation nationale de ProSieben. SevenOne Media a néanmoins refusé de diffuser la publicité en invoquant l’interdiction de faire de la publicité régionale dans des programmes nationaux qui figure dans le Rundfunkstaatsvertrag (RStV). Fussl a intenté une action en justice – le tribunal régional (le LG) de Stuttgart a finalement soumis à la CJUE la question de savoir si le § 7 al. 11 du RStV était compatible avec la liberté de prestation de services prévue à l’article 56 du TFUE.
La CJUE10 a donné quelques indications pour répondre à cette question. Tout d’abord, une interdiction de faire de la publicité régionale dans un programme national constitue bien une restriction à la libre prestation de services. Toutefois, la diversité des médias est un intérêt légitime qui peut justifier la restriction de cette liberté. Néanmoins, la mesure restrictive doit également être nécessaire et propre à garantir la réalisation de cet intérêt légitime. Or, la CJUE doute que le § 7 al. 11 du RStV réponde à ces exigences, car l’interdiction de la publicité régionale ne s’applique pas aux fournisseurs de publicité sur internet. En conséquence, les diffuseurs de radio et de télévision nationaux pourraient être illégalement discriminés vis-à-vis de ces fournisseurs de publicité sur internet. La décision finale appartient toutefois à la juridiction qui a posé la question, c’est-à-dire au tribunal régional de Stuttgart en l’espèce. Selon la CJUE, le tribunal doit maintenant examiner en particulier si les fournisseurs de publicité sur internet sont en concurrence avec les chaînes de télévision locales et si les revenus de ces dernières sont mis en danger par les fournisseurs de publicité sur internet.
Les conclusions du tribunal régional de Stuttgart pourraient être de nature à remettre en cause le § 8 al. 11 du Medienstaatsvertrag11 et ainsi ouvrir un nouveau champ d’activité pour les chaînes de télévision nationales, celui de la publicité régionale. Les Länder allemands seront éventuellement amenés à trouver des solutions alternatives pour protéger la diversité des médias au niveau régional et national.
.
- Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information [↩]
- CJUE, décision du 21 octobre 2014, C-348/13 [↩]
- CJUE, arrêt du 9 mars 2021, C-392/19 [↩]
- Arrêt du 1er avril 2021 – I ZR 9/18 [↩]
- Ces informations ont été obtenues par le biais d’une action préliminaire afin d’obtenir les informations nécessaires pour la préparation de l’action en paiement [↩]
- Calculée sur la période à partir de l’entrée en vigueur de cette disposition [↩]
- OLG Munich, arrêt du 21 décembre 2017 – 29 U 2619/16 [↩]
- BGH, arrêt du 20 février 2020, I ZR 176/18 – Das Boot II [↩]
- Traité sur la radio et la télévision, depuis novembre 2020 traité sur les médias qui a, pour rappel, pour objet d’unifier la réglementation des Länder en matière de médias, qui ne constitue pas une compétence fédérale [↩]
- Arrêt du 4 février 2021, C-555/19 [↩]
- Anciennement § 7 al. 11 du Rundfunkstaatsvertrag, désormais rénuméroté [↩]