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Ciblage publicitaire : l’ADLC prononce une sanction de 150 millions d’euros à l’encontre d’Apple

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Décision 25-D-02 du 28 mars 2025

Pour la mise œuvre de son dispositif de ciblage publicitaire App Tracking Transparency (ATT), Apple est condamnée à 150 millions par l’Autorité de la concurrence (ADLC) ; en droit de la concurrence, le proverbe « charité bien ordonnée commence par soi-même » ne trouve pas toujours sa place !

Dans cette décision, l’ADLC retient que les modalités de mise en œuvre du dispositif ATT par Apple entre le 26 avril 2021 et le 15 juillet 2023 ont été constitutives d’un abus de position dominante favorisant ses propres services au détriment des applications développées par les éditeurs tiers.

Ce dispositif, introduit par Apple le 26 avril 2021 avec la mise à jour iOS 14.5, impose aux utilisateurs de donner leur consentement aux opérations de collecte de données à des fins publicitaires par les applications tierces, via l’affichage d’une fenêtre de format partiellement standardisé.

Le recueil de ce consentement contribue à la protection de la vie privée, c’est un objectif louable, il a cependant suscité de nombreuses critiques car jugé à la fois excessif et ayant un impact lourd sur le marché de la publicité en ligne.

Pour rappel, les points de tension entre les données personnelles et le droit de la concurrence font l’objet d’une attention toute particulière de l’ADLC qui a, en 2016, rendu un rapport conjoint avec le Bundeskartellamt sur le Big Data et ses enjeux. Y avaient alors notamment été soulevées des problématiques d’accès aux données sous l’angle de l’abus de position dominante et des pratiques d’éviction. Par la suite le Bundeskartellamt a rendu une décision remarquée (décision du 6 février 2019, B6-22/16 [voir nos newsletter 1/2021 et 2/2021]) au terme de laquelle la violation des dispositions du RGPD a été considérée comme un abus de sa position dominante sur le marché des réseaux sociaux.

C’est donc avec un œil particulièrement attentif que l’ADLC a examiné cette affaire. Elle avait été initialement saisie le 23 octobre 2020 par plusieurs associations représentant les différents acteurs de la publicité en ligne. Les associations alléguaient que le dispositif ATT entravait le financement des applications des éditeurs tiers à travers la publicité ciblée, mettant en difficulté nombre d’entre eux. L’ADLC avait alors rejeté une demande de mesures conservatoires par une décision en date du 17 mars 2021 (ADLC n°21-D-07), tout en ordonnant la poursuite de l’instruction au fond.

Par sa décision du 28 mars 2025, l’Autorité retient finalement que si le dispositif ATT n’est pas en soi critiquable, ses modalités de mise en œuvre par l’opérateur en position dominante ne sont ni nécessaires, ni proportionnées et partant, sont abusives au sens du droit de la concurrence, en ce qu’elles complexifient le parcours des utilisateurs d’applications tierces et faussent la neutralité du dispositif.

En premier lieu, l’ADLC retient que ce dispositif n’est pas nécessaire dès lors qu’il ne permet pas le recueil d’un consentement valable au regard de la Loi Informatique et Libertés. Les éditeurs d’applications tierces à l’environnement IOS ne peuvent donc s’appuyer sur ce dispositif pour satisfaire à leurs obligations légales et doivent faire usage de leurs propres solutions de recueil de consentement, en plus de la fenêtre imposée par Apple. Une telle situation entraine une multiplication de ces fenêtres de recueil de consentement qui détériore l’expérience utilisateur.

En deuxième lieu, l’ADLC retient l’existence d’une atteinte à la neutralité du dispositif. En cause, le fait que la mise en œuvre de ce dispositif implique que le refus du suivi publicitaire s’effectue en une seule action alors qu’au contraire, l’acceptation du suivi requiert pour les applications concernées une confirmation supplémentaire, compromettant le recueil d’un consentement éclairé que l’ATT est censé favoriser.

En troisième lieu, l’ADLC constate une asymétrie entre le traitement que le géant américain se réservait et celui qu’il appliquait aux éditeurs tiers. Jusqu’à la mise en œuvre de l’iOS 15, Apple ne sollicitait aucun consentement pour la collecte de données via ses propres applications, alors qu’elle imposait le recueil d’un double consentement pour les applications issues des éditeurs tiers. Cette asymétrie est demeurée avec la mise en place d’un dispositif de recueil de consentement en une seule étape, introduit par iOS 15.

L’impact économique de l’ATT a été jugé particulièrement sévère pour les petits éditeurs, ces derniers ne disposant pas d’alternatives au ciblage publicitaire et dépendant fortement de la collecte des données tierces pour financer leur activité. En effet, contrairement aux géants verticalement intégrés tels que Meta et Google, ces éditeurs ne possèdent pas d’écosystème de données propres pour monétiser leurs contenus.

L’ensemble de ces éléments à conduit l’ADLC à considérer que les règles de mise en œuvre de l’ATT ont constitué des conditions de transactions inéquitables au sens des articles 102 du TFUE et L420-2 du code de commerce et à prononcer à l’encontre d’Apple une sanction d’un montant de 150 millions d’euros. En plus d’une pénalité financière d’une particulière sévérité, cette décision est assortie de l’obligation pour Apple de publier le résumé de la décision sur son site internet pendant une durée de sept jours consécutifs.

Cette décision doit être mise en perspective avec l’adoption, par la Commission européenne, des premières décisions de non-conformité au Digital Markets Act (DMA), prononcées contre Apple le 23 avril 2025. La Commission a ainsi infligé au géant américain une amende de 500 millions d’euros pour violation des dispositions de l’article 5(4) du DMA. Ces dernières obligent les contrôleurs d’accès à permettre aux entreprises utilisatrices de communiquer et de promouvoir leurs offres gratuitement, y compris à des conditions différentes, auprès des utilisateurs finaux acquis grâce à leur service de plateforme essentiel ou via d’autres canaux, et de conclure des contrats avec ces utilisateurs finaux, en utilisant ou non à cette fin les services de plateforme essentiels du contrôleur d’accès. Plusieurs restrictions imposées par Apple empêchaient les éditeurs d’applications tierces de bénéficier pleinement des avantages des canaux de distribution alternatifs en dehors de l’Apple Store et ne permettaient pas à ces derniers d’informer les consommateurs de l’existence d’offres alternatives et moins chères, dont ceux-ci ne pouvaient donc profiter.

Par ailleurs, illustrant à nouveau l’actualité de ces sujets, la Commission a, le même jour, adressé à Apple ses conclusions préliminaires concernant les conditions contractuelles qu’elle impose aux développeurs d’applications et de boutiques d’applications. La Commission estime notamment qu’Apple ne se serait pas conformée à son obligation d’autoriser les téléchargements d’applications sur l’iPhone directement depuis internet et de permettre la mise en place des boutiques d’applications tierces sur iOS, laissant présager le prononcé d’une nouvelle sanction.

Sujets à suivre…