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Concurrence, distribution, consommation

Concurrence Distribution Consommation n°1/2023

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Edito

L’année 2023 s’annonce pleine d’actualités passionnantes.

L’année 2022 a vu se concrétiser les positions européennes exprimées sous la présidence française de l’Union par deux lois européennes sur les services et le marché numérique (DSA, DMA). La Commission est entrée dans un cycle de refonte de textes importants en matière de concurrence, elle a ainsi adopté le règlement sur les restrictions verticales et ses lignes directrices en adaptant les règles à l’évolution du commerce en ligne. Elle a initié la révision de sa communication sur la définition du marché pertinent et la refonte du règlement d’exemption relatif aux accords de coopération horizontale et de ses lignes directrices. L’UE s’est dotée d’un outil extrêmement important pour intervenir en cas de subventions non-européennes susceptibles de fausser le marché intérieur de l’UE afin de remédier aux distorsions de concurrence que ces subventions accordées par des pays tiers pourraient créer au détriment des sociétés européennes. Ce règlement FSR combine à la fois des éléments relevant des aides d’État, de contrôle des fusions, de règles des marchés publics et de protection des intérêts commerciaux.

L’année 2023 verra  notamment la concrétisation de ces initiatives et la mise en œuvre de tous ces textes. Nous aurons à cœur de vous accompagner pour s’approprier ces nouvelles règles et les transposer dans le quotidien.

Les multiples initiatives prises par chaque État membre pour adapter leur économie au cycle d’inflation ont débouché sur des problématiques nouvelles qui conduisent les acteurs économiques à revoir leurs accords et à intégrer de nouveaux instruments dans leurs contrats. La France expérimente ainsi grandeur nature les règles de l’imprévision. De son côté, le Parlement français élabore pour ce début de 2023 une troisième loi EgAlim pour encadrer les relations industrie-commerce pour les produits de grande consommation ; la jurisprudence n’en finit pas de peaufiner la casuistique de la rupture brutale des relations commerciales établies ; le Gouvernement poursuit son action pour une information sûre des consommateurs et recherche un nouveau directeur général pour la DGCCRF.

Le droit de la distribution devrait aussi bénéficier en 2023 d’une clarification des règles relatives au vices cachés dans le droit de la vente. En effet, la Cour de cassation réunie en chambre mixte aura l’occasion le 16 juin 2023 de mettre un terme à la divergence entre la chambre commerciale et la 3ème chambre civile française et parfois même au sein de cette chambre sur le point de départ de l’action en garantie des vices cachés, sur la nature du délai (forclusion ou prescription). Par nature rétroactive, la jurisprudence clarifiera ainsi les situations en cours. Pour l’avenir, la question pourrait aussi être réglée en 2023 si la Chancellerie traduit dans le Code civil les projets de la commission de réforme présidée par le Professeur Stoffel-Munck sur les contrats spéciaux.

Autant dire que l’année 2023 offre de belles perspectives. Devant cette actualité soutenue dans le domaine du droit de la distribution, de la concurrence et de la consommation, l’équipe dédiée de hw&h s’attachera à vous transmettre une newsletter soulignant une sélection de sujets d’importance en lien avec les préoccupations quotidiennes.

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En France

Deux décisions importantes sont venues éclairer le Titre IV du livre IV du Code de commerce qui réunit la foisonnante réglementation des pratiques restrictives de concurrence en droit français.

La première est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par le Conseil constitutionnel et concerne la notion « d’avantage sans contrepartie » visée à l’article L.442-1 du Code de commerce dans sa formulation issue de l’ordonnance n° 2019–359 du 24 avril 20219 qui a refondu le titre IV.

La seconde résulte d’une question préjudicielle et provient de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ; elle vient préciser le cadre procédural de l’action dont dispose le ministre lorsqu’il sollicite la condamnation à une amende civile ou à la restitution pour le compte des victimes des sommes qui ont été indûment perçues en raison d’une pratique restrictive en vertu de l’article L.442-4 du Code de commerce.

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Le Conseil constitutionnel déclare conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit les dispositions du Code de commerce relatives à l’obtention d’un avantage sans contrepartie

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé dans une décision n° 2022-1011 du 6 octobre 2022 sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions relatives à l’obtention d’un avantage sans contrepartie issues de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce.

La Cour de cassation après avoir constaté l’applicabilité des dispositions au litige et le caractère nouveau et sérieux de la question posée, avait décidé de renvoyer la question posée par Amazon au Conseil constitutionnel.

La société Amazon reprochait au 1° du paragraphe I de l’article L.442-1 du Code de commerce de :

  1. Méconnaître la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre en ce que ces dispositions permettraient au juge de procéder à un contrôle des conditions économiques de la relation commerciale, alors même que celles-ci seraient librement négociées par les parties ;
  2. Méconnaître l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi de même que le principe d’égalité devant la loi en ne prévoyant pas de seuil au-delà duquel il serait considéré qu’une personne engage sa responsabilité pour avoir obtenu ou tenté d’obtenir un avantage sans contrepartie ;
  3. Méconnaître le principe de légalité des délits et des peines en raison de l’imprécision des dispositions relatives à l’obtention d’un avantage sans contrepartie.

Le Conseil constitutionnel répond à ces griefs en deux temps :

  • En ce qui concerne la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle :

Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est loisible au législateur d’y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi et, que les dispositions en question qui visent à préserver l’ordre public économique poursuivent un objectif d’intérêt général.

Par ailleurs, la faculté de contrôle des conditions économiques de la relation commerciale permet uniquement de constater qu’une pratique tenant à l’obtention d’un avantage sans contrepartie est illicite et non d’exercer un « contrôle généralisé de la lésion » ou une « fixation judiciaire du prix » comme le soutenait Amazon.

Le Conseil constitutionnel constate l’absence d’atteinte portée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre.

  • En ce qui concerne le principe de légalité des délits et des peines :

Le Conseil constitutionnel rappelle que le principe de légalité des délits et des peines s’étend à toute sanction ayant le caractère de punition et dont les termes doivent être suffisamment clairs et précis. Selon le Conseil constitutionnel, la notion d’avantage « manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » ne présente aucun caractère imprécis ou équivoque.

Au regard de ce qui précède, le Conseil constate l’absence de méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.

Les dispositions du 1° du paragraphe I de l’article L.442-1 du Code de commerce, dans leur rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-259 du 24 avril 2019 relatives à l’obtention ou la tentative d’obtention d’un avantage sans contrepartie sont donc déclarées conformes à la Constitution.

En affirmant la constitutionnalité des dispositions relatives à l’obtention d’un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie, le Conseil constitutionnel renforce l’effectivité du droit des pratiques restrictives.

Rappelons à ce titre que le Conseil constitutionnel avait d’ores et déjà établi la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :

  • du mécanisme de sanction des pratiques restrictives de concurrence par le prononcé d’une amende civile (Décision QPC n° 2011-126 du 13 mai 2011) ;
  • des dispositions relatives à la soumission d’un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties dans leur rédaction antérieure à celle de l’ordonnance de 2019 précitée (Décision QPC n° 2018-749 du 30 novembre 2018).

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La CJUE ralentit les poursuites contre Leclerc

Les groupes Leclerc et Rewe ont constitué une centrale d’achat, Eurelec, société de droit belge domiciliée en Belgique, chargée de négocier les conditions des fournisseurs, notamment ceux établis en France. La DGCCRF avait enquêté sur les pratiques d’Eurelec et avait conclu à l’existence de déséquilibres significatifs dans les droits et obligations des parties auxquelles des fournisseurs français avaient été soumis. Elle avait saisi le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir qu’il soit fait injonction de cesser ces pratiques et pour également voir prononcer une amende civile.

Eurelec avait soulevé l’incompétence du Tribunal de commerce en indiquant qu’il fallait saisir le tribunal dans le ressort duquel se trouvait son siège social, en Belgique. On se souvient que le Tribunal de commerce avait écarté cette exception d’incompétence ; en appel Eurelec a maintenu cette argumentation et c’est dans ces conditions que la Cour d’appel de Paris s’est interrogée sur le point de savoir si la question de la compétence devait être réglée par le règlement n°2015/2012 concernant la compétence judiciaire en matière civile et commerciale. Par une décision du 22 décembre 2022, la CJUE répond que l’action du ministre ne relève pas de ce règlement (CJUE, 8è ch., aff. C-98/22).

Pour autant, cette réponse ne doit pas permettre de conclure que le ministre n’aurait aucun moyen d’action contre des centrales d’achat situées à l’étranger. En effet, le juge français peut toujours appréhender les pratiques quasi délictuelles dès lors qu’elles produisent un effet en France. En outre, s’il restait un doute, le Parlement dans le cadre de l’adoption de la loi EgAlim 3, s’apprête à préciser dans le Code de commerce que les tribunaux français ont une compétence exclusive pour tout litige portant sur l’application des dispositions du titre IV et que ces dispositions sont d’ordre public !

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Coca-Cola en litige avec les grands distributeurs, en France comme en Allemagne

Dans un contexte de forte augmentation des coûts pour les fournisseurs (matières premières, énergie, transport, etc.), un contentieux intéresse tout particulièrement les fournisseurs et distributeurs du secteur alimentaire, celui du refus de livraisons consécutif au rejet de l’augmentation du tarif du fournisseur.

Le fournisseur géant de boissons soft Coca-Cola s’est retrouvé au cœur de deux conflits l’opposant aux distributeurs Edeka en Allemagne et Intermarché en France.

  • En Allemagne – L’arrêt d’approvisionnement de Coca-Cola confirmé (pour l’instant) malgré la position dominante de ce fournisseur de boissons

En septembre 2022, Edeka avait refusé une augmentation tarifaire conduisant Coca-Cola à arrêter son approvisionnement, ce qu’Edeka contestait par une demande d’injonction visant à obtenir la cessation de l’acte contraire au droit des pratiques anticoncurrentielles fondée sur le § 33 de la loi allemande contre les restrictions de concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen – GWB) en lien avec l’article 102 du TFUE relatif aux abus de position dominante.

Décidant que Coca-Cola avait abusé de sa position dominante en demandant des prix plus élevés et en tentant de les imposer à son cocontractant par des ruptures d’approvisionnement, le tribunal régional de Hambourg (Landgericht Hamburg), par une décision du 8 septembre 2022 (n° 415 HKO 72/22) avait imposé à Coca-Cola de continuer à fournir ses produits à Edeka aux conditions tarifaires convenues en janvier 2021 et ce, jusqu’à la fin du mois de septembre 2022.

Coca-Cola avait alors formé un recours à l’encontre de cette décision.

Le 29 septembre 2022, le tribunal régional d’Hambourg a levé l’injonction aux motifs que :

  • Edeka n’avait pas démontré avec suffisance en quoi les prix proposés par Coca-Cola étaient déraisonnables par rapport à ceux qui résulteraient d’une situation de concurrence effective ; et
  • Edeka ne rapportait pas la preuve de l’urgence justifiant que Coca-Cola soit obligé de fournir les produits aux conditions tarifaires antérieures, étant donné que Coca-Cola, en continuant l’approvisionnement aux tarifs convenus moins élevés ne pourrait pas faire de demandes supplémentaires ultérieurement alors qu’Edeka pourrait toujours agir contre des prix abusivement élevés après cette période.

L’affaire n’est pas encore terminée : Edeka a interjeté appel contre le jugement du tribunal régional de Hambourg. La Cour d’appel de Hambourg aura ainsi l’occasion en 2023 de se prononcer sur les cas de figure dans lesquels un fournisseur est autorisé à arrêter l’approvisionnement d’un distributeur.

  • En France – Coca-Cola contraint de reprendre les livraisons au tarif pratiqué antérieurement

L’affaire qui oppose Coca-Cola à Edeka en Allemagne fait écho à celle l’opposant à Intermarché et consécutive à un échec des négociations commerciales.

Début 2020, Intermarché avait refusé l’augmentation tarifaire proposée par Coca-Cola dans la mesure où celle-ci revenait à une augmentation de 37% du prix triple net. Coca-Cola avait alors arrêté ses livraisons.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 novembre 2020 n°20/02392, était venue confirmer l’ordonnance de référé rendue en première instance et avait ordonné la reprise des livraisons par Coca-Cola.

Selon la cour, l’arrêt brutal des livraisons d’un produit peu substituable, en pleine négociation et à une période cruciale pour les distributeurs constituait un dommage imminent justifiant que soit ordonnée la reprise des livraisons aux conditions tarifaires de 2019 dans l’attente d’un aboutissement des négociations.

  • Regards croisés

Il est intéressant de relever la divergence de solutions dans ces deux affaires pourtant très similaires.

La différence tient aux fondements qui sont à disposition des juges de part et d’autre du Rhin.

Ainsi, si la Cour d’appel de Paris semble plus encline à ordonner la reprise des livraisons aux conditions tarifaires antérieures, Il faut toutefois relever que sa décision se fonde sur la nécessité de prévenir un dommage imminent qui résulte du droit des pratiques restrictives de concurrence. On se souvient que ces pratiques sont appréciées per se, indépendamment des effets qu’elles produisent sur le marché. La décision du Tribunal régional de Hambourg relevant du droit allemand qui ne connaît pas la notion de « rupture brutale de la relation commerciale » se fonde sur l’injonction de cesser une pratique contraire au droit des pratiques anticoncurrentielles et plus particulièrement l’abus de position dominante ce qui implique de démontrer que les prix demandés sont supérieurs à ceux qui résulteraient d’une situation de concurrence effective.

Par ailleurs, l’arrêt des livraisons en pleine négociation durant cette période cruciale pour les distributeurs a probablement joué en faveur du distributeur français. Quoi qu’il en soit, ce contentieux sur un sujet très actuel est sans doute amené à se renouveler et l’approche comparatiste permettra d’affiner la grille d’analyse des juridictions dans de telles circonstances.

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Du côté de Bruxelles

La Commission européenne ouvre une consultation publique sur le projet de communication révisée sur la définition du marché pertinent

Le 8 novembre 2022 la Commission européenne a lancé une consultation publique invitant toutes les parties intéressées à présenter leurs observations relatives au projet de communication révisée sur la définition du marché. 

Cette communication est en cours de révision pour la première fois depuis son adoption en 1997, afin de tenir compte des évolutions importantes des dernières années, en particulier le numérique et les nouveaux modes d’offre de biens et de services.

Les modifications proposées fournissent des orientations nouvelles ou supplémentaires sur diverses questions clés relatives à la définition du marché :

  • des explications sur les principes de la définition du marché et la manière dont celle-ci est utilisée aux fins de l’application des règles de concurrence ;
  • un accent renforcé sur les éléments autres que les prix, tels que l’innovation et la qualité des produits et services ;
  • des précisions concernant l’application prospective de la définition du marché, en particulier sur les marchés qui devraient subir des transitions structurelles, telles que des changements technologiques ou réglementaires ;
  • de nouvelles orientations concernant la définition du marché pour les marchés numériques, par exemple les marchés multifaces et les « écosystèmes numériques » (par exemple pour les produits construits autour d’un système d’exploitation mobile) ;
  • de nouveaux principes sur les marchés à forte intensité d’innovation, précisant comment il convient d’examiner les marchés lorsque les entreprises sont en concurrence en matière d’innovation, y compris par l’intermédiaire de produits en cours de développement ;
  • davantage d’orientations sur la définition du marché géographique, notamment en ce qui concerne les conditions permettant de définir des marchés mondiaux, l’approche adoptée pour évaluer les importations ainsi que l’approche de la Commission à l’égard des marchés locaux définis par zones de chalandise (par exemple pour la vente au détail de biens de consommation) ;
  • des précisions concernant les techniques quantitatives, telles que le test SSNIP (« augmentation légère mais significative et non transitoire des prix »), que la Commission peut utiliser lorsqu’elle définit un marché ;
  • des orientations élargies sur les sources possibles d’éléments de preuve et leur valeur probante, sur la base de l’expérience pratique et de l’approche factuelle de la Commission en matière de définition du marché.

L’adoption d’une nouvelle communication sur la définition du marché est prévue pour le troisième trimestre de 2023.

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L’avocate générale de la Cour de justice de l’Union européenne propose que les opérations de concentration sous les seuils de contrôlabilité puissent relever des règles relatives aux abus de position dominante

L’avocate générale Juliane Kokott dans ses conclusions en date du 13 octobre 2022 dans l’affaire Towercast contre Autorité de la concurrence et Ministère de l’Economie a proposé à la CJUE de considérer que les autorités de concurrence ont le pouvoir d’appliquer l’article 102 du TFUE aux concentrations sous les seuils, et de vérifier en vertu de cette disposition si la concentration en tant que telle constitue un abus de position dominante. Toutefois, une autorité de la concurrence ne devrait pas pouvoir appliquer les règles relatives à l’abus de position dominante à des opérations de concentration qui ont déjà été approuvées. L’avocate générale Juliane Kokott se montre favorable à une restauration de la jurisprudence Continental Can aux concentrations sous les seuils.

Le contexte :

En 2017, Towercast, une société opérateur de diffusion de la TNT, a déposé une plainte auprès de l’Autorité de la concurrence française concernant l’acquisition d’Itas par TDF, le concurrent de Towercast, beaucoup plus important et dominant sur le marché. Étant donné que cette opération n’atteignait pas les seuils de contrôlabilité Towercast a cherché à bloquer la concentration en alléguant que l’acquisition constituait un abus de position dominante, entravant la concurrence sur les marchés de gros en amont et en aval de la diffusion de la télévision numérique terrestre. L’Autorité de la concurrence a rejeté cet argument et l’affaire a été portée devant la Cour d’appel de Paris, qui a demandé l’avis de la CJUE sur la question de savoir si une autorité nationale de la concurrence peut appliquer l’article 102 TFUE aux concentrations qui n’ont pas été soumises à la procédure standard de contrôle des concentrations ex-ante.

L’article 102 TFUE qui sanctionne les abus de position dominante, est une norme du droit primaire dont la Cour reconnaît depuis longtemps l’applicabilité directe et en vertu du principe de la hiérarchie des normes, une norme de droit dérivé — comme l’article 21, § 1, du Règlement sur les concentrations — n’est susceptible de limiter ni le champ d’application ni l’applicabilité directe d’une norme de droit primaire.

L’avocate générale, s’appuyant sur cette analyse, suggère d’opérer une distinction entre :

  • les cas, tels que celui en cause dans l’affaire Towercast, où l’acquisition n’a pas fait l’objet d’un examen ex ante au regard des règles relatives au contrôle des concentrations ; et
  • la situation d’un éventuel « double contrôle » parallèle ou successif d’une concentration à la lumière à la fois du droit du contrôle des concentrations et de l’article 102 TFUE.

Dans ce dernier cas, le principe de sécurité juridique devrait exclure un nouvel examen de l’opération au titre de l’article 102 TFUE.

En revanche, dans le cas où l’acquisition n’a pas fait l’objet d’un examen ex ante rien n’empêcherait les autorités de concurrence d’appliquer cette disposition aux acquisitions réalisées par une entreprise dominante qui ont échappé à l’examen de la Commission au titre du contrôle des concentrations.

La CJUE devrait se prononcer prochainement sur cette question.

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La Cour de justice de l’Union Européenne change sa jurisprudence sur la présomption d’innocence et le devoir d’impartialité dans les procédures de concurrence

Dans une décision C883/19 du 12 janvier 2023, la CJUE a jugé que, désormais, une violation de la présomption d’innocence à laquelle la Commission se serait livrée « est susceptible de vicier l’ensemble de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse » (point 95) sans avoir à démontrer, comme la jurisprudence antérieure l’exigeait jusque-là, qu’en l’absence d’une telle violation, la décision critiquée aurait pu être différente (points 87 à 93).

En l’espèce, HSBC critiquait la Commission d’avoir, à l’occasion d’une transaction conclue par la Commission avec d’autres banques impliquées dans la procédure d’enquête portant sur une entente entre banques sur les produits dérivés de taux d’intérêts, présumé la culpabilité de HSBC qui elle n’avait pas pris part à la transaction, ce qui aurait été non seulement déduit des termes de l’accord transactionnel, mais aussi de déclarations publiques du Commissaire européen à la concurrence. La CJUE prend la peine de préciser que cette décision a trait à une procédure hybride (c’est-à-dire, une procédure de transaction pour certaines parties et une procédure contentieuse pour d’autres). Bien que dans sa décision, la CJUE ait considéré que les termes de la décision de transaction comportaient suffisamment de réserves pour ne pas exposer la Commission à la violation de droits fondamentaux (v. points 215 et s.), les principes sont désormais clairement posés et protègent davantage les justiciables en cas de telles violations avérées.

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En Allemagne

Les coopérations entre concurrents à la lumière de la guerre en Ukraine : l’avis de l’ECN et un cas pratique venant d’Allemagne

La guerre en Ukraine et ses conséquences placent l’économie européenne devant des défis sans précédent en matière énergétique. Les temps difficiles exigent des mesures inhabituelles et les entreprises européennes ont dû elles aussi faire preuve d’imagination – les coopérations, y compris entre concurrents, constituent un moyen pour optimiser les ressources énergétiques, mais à la condition de tenir compte du droit de la concurrence. Devant cette situation nouvelle, les autorités européennes de concurrence aident les entreprises à évaluer la limite entre les coopérations pro- et anticoncurrentielles :

  • L’avis commun de l’ECN sur l’application du droit de la concurrence dans le contexte de la guerre en Ukraine

Le réseau des autorités européennes de concurrence (European Competition Network – ECN) a publié à ce sujet un avis commun sur l’application du droit de la concurrence dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Dans cet avis, les autorités soulignent que l’application des règles du droit de la concurrence n’est pas suspendue en temps de crise. Néanmoins, elles comprennent le besoin des entreprises de mettre en place des coopérations permettant l’approvisionnement, la fourniture ou la distribution de biens rares ou d’atténuer l’impact économique de la guerre et des sanctions de l’UE contre la Russie.

L’ECN estime que de telles mesures sont compatibles avec l’article 101 TFUE et a annoncé qu’il n’y aura pas d’opposition aux coopérations strictement nécessaires dans le contexte de la guerre et limitées dans le temps. Les entreprises qui ont des doutes sur la compatibilité de leur projet de coopération avec le droit de la concurrence peuvent demander à se rapprocher de la Commission européenne ou des autorités nationales de concurrence.

  • La pratique de la lettre de confort en droit de la concurrence allemand

En Allemagne, cette possibilité de demander conseil à l’autorité de la concurrence allemande (Bundeskartellamt – BkartA) a été officialisée lors de la 10e réforme de la loi contre les restrictions de concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen – GWB) (voir notre news du 7 mai 2021 sur la 10e réforme du GWB).

Auparavant, les entreprises pouvaient déjà solliciter l’avis du BKartA en cas de projet de coopération. Le BKartA pouvait alors décider de ne pas s’opposer à la coopération prévue. Il était toutefois libre de prendre ou non une telle décision.

La 10ème réforme du GWB a conféré aux entreprises, dans certaines circonstances, le droit de demander une décision du BKartA : selon le nouveau § 32c al. 4 du GWB, le BKartA doit statuer sur une demande dans un délai de 6 mois, s’il existe un intérêt juridique et économique considérable à une telle décision dans la perspective d’une coopération entre concurrents.

La nouvelle disposition législative offre ainsi aux entreprises une plus grande sécurité juridique, mais ne s’applique que dans certains cas complexes que le BKartA devra définir.

  • Les fabricants de sucre allemands : un cas pratique de coopération pendant la crise énergétique

Dans le contexte de la pénurie d’approvisionnement en gaz due à l’invasion russe de l’Ukraine, le BKartA a déjà autorisé une coopération fondée sur une situation de crise, entre quatre grands fabricants de sucre allemands (voir le communiqué de presse du BKartA du 6 septembre 2022). 

Les quatre entreprises avaient convenu de se mettre mutuellement à disposition des capacités de production pour le traitement des betteraves sucrières en cas de pénurie d’approvisionnement en gaz. Ce projet devait permettre d’éviter la détérioration des betteraves sucrières en cas d’arrêt de la production à la suite de la coupure de l’approvisionnement en gaz.

Le BKartA a reconnu que l’objectif des fabricants de sucre méritait d’être soutenu et a donc autorisé la coopération, mais uniquement sous des conditions strictes :

  • La coopération doit rester une exception, qui ne peut être mise en œuvre que si une mesure appliquée par une autorité publique entraîne une réduction de l’approvisionnement en gaz et un arrêt de la production sur un site de fabrication de sucre.
  • La coopération ne doit être qu’une solution de dernier recours : avant d’y recourir, les producteurs doivent utiliser l’intégralité de leurs propres capacités de production, notamment sur les sites non alimentés en gaz.
  • La coopération reste limitée dans le temps jusqu’en juin 2023.
  • L’échange d’informations entre les entreprises participant à la coopération sera limité à un strict minimum : Un tiers indépendant sera l’unique responsable du décompte des coûts de production. Ce dernier ne communiquera aux entreprises participantes que des données fortement agrégées, pas de données brutes ni son approche de calcul.

Cet exemple de coopération entre des producteurs de sucre allemands démontre comment un projet de coopération pourrait être conçu pour ne pas restreindre la libre concurrence et être reconnu par les autorités de la concurrence.

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Chez hw&h

Colloque sur le « Made in France »

Les actes du colloque sur le « Made in France » organisé le 27 juin 2022 par le Professeur Marie Malaurie-Vignal et Dominique Heintz ont partiellement été publiés par Dalloz en octobre 2022 et janvier 2023, le troisième volet devrait intervenir au printemps 2023.

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Formations

Maria Bagate et Dominique Heintz ont animé divers modules de formation sur le DMA, le DSA et le droit anti-trust en janvier 2023.

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Remise de Prix

Béatrice Deshayes a remis, le 26 janvier 2023, à l’Ambassade de France à Berlin le « prix des affaires » à Maximilian Gerhold pour sa thèse « L’exercice de la profession d’avocat au service de l’Etat de droit – une étude franco-allemande des droits fondamentaux ». Hw&h est fière de récompenser ainsi l’un des diplômés les plus brillants de l’Université franco-allemande Deutsch-Französische Hochschule UFA-DFH du millésime 2022 (voir notre news du 27 janvier 2023 sur le sujet).

Philippe Gréciano, Président de l’UFA, Maximilian Gerhold, Béatrice Deshayes du cabinet hw&h (© Jacek Ruta/DFH-UFA)