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Concurrence, distribution, consommation

Concurrence Distribution Consommation n°1/2021

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Une nouvelle année

L’équipe concurrence distribution consommation de hw&h vous souhaite une très bonne année 2021.

Beaucoup de vœux invitent à oublier très vite l’année 2020. Mais, malgré la crise sanitaire, 2020 comporte aussi des sources d’espoir. On en retiendra deux : les États-membres de l’UE sont restés unis sur les conditions de la négociation du Brexit et ils ont affirmé leur modèle social en faisant prévaloir la santé des plus fragiles et des générations les plus âgées malgré les conséquences économiques qui affectent de nombreux marchés.

Les enjeux de 2021 sont nombreux, le phénomène de digitalisation est accéléré par la crise sanitaire et contribue au basculement de nos économies en accentuant les contrastes : certains secteurs surperforment, d’autres pans de l’économie sont en profonde mutation et vont disparaître sous leur forme actuelle. Nous nous efforcerons d’en analyser les aspects juridiques au fil de l’année en marge de l’actualité.

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Du côté de Bruxelles

Le Digital Market Act, le Digital Services Act et le Data Governance Act

Le secteur du numérique est l’une des priorités de la Commission. Faisant partie de la stratégie européenne « Façonner l’avenir numérique de l’Europe »1, trois propositions de règlements ont été présentées dont nous allons entendre beaucoup parler dans les mois qui viennent.

  • Le Digital Services Act (DSA)2 a pour vocation de régir les obligations des services numériques qui jouent un rôle d’intermédiaire dans la mise en relation des consommateurs avec les biens, les services et les contenus. Elle a pour but de mieux protéger les consommateurs et leurs droits fondamentaux ainsi que de mettre en place un cadre solide pour la transparence et la responsabilité des plateformes en ligne. Les nouvelles règles incluent des mesures visant à lutter contre les contenus illicites en ligne, des règles en matière de traçabilité des entreprises utilisatrices des places de marchés en ligne, des garanties pour les utilisateurs (possibilité de contester les décisions de modération de contenu prises par les plateformes), des mesures de transparence pesant sur les plateformes en lignes (point de contact unique, représentants légaux au sein de l’UE, mention des restrictions d’utilisation de leurs services découlant du traitement des données des utilisateurs dans les conditions générales d’utilisation, par exemple sur les algorithmes utilisés pour les recommandations, transparence sur leur activité de modération de contenus etc.), des dispositions visant les très grandes plateformes en ligne afin de prévenir l’utilisation abusive de leurs systèmes (mesures relatives à la gestion des risques), accès aux données des principales plateformes notamment pour les chercheurs et enfin un nouveau comité européen des services numériques.
  • Le Digital Market Act (DMA)3 a de son côté pour vocation d’introduire des règles applicables aux plateformes qui se comportent comme des gatekeepers (contrôleurs d’accès)4 dans le secteur numérique. Ces règles viseraient à empêcher ces plateformes d’imposer des conditions inéquitables aux entreprises (interdiction de mettre en place une auto-préférence en mettant en avant sur leur plateforme leurs propres produits par rapport aux produits de tiers utilisateurs, obligation de permettre aux entreprises utilisatrices d’offrir les mêmes produits aux consommateurs via des services tiers à des conditions commerciales différentes, interdiction d’utiliser les données non-publiques générées par l’activité d’entreprises utilisatrices de leurs services pour faire concurrence à ces dernières etc.) et aux consommateurs (interdiction de combiner les données personnelles collectées sur leurs services principaux avec celles collectées via d’autres services ou des tiers etc.) et à garantir l’ouverture de marchés numériques importants (obligation d’interopérabilité etc.)
  • Le Data Governance Act (DGA)5 a enfin pour but de permettre aux utilisateurs de conserver le contrôle de leurs données et d’encourager la création d’un espace européen des données afin de mobiliser les données inutilisées et d’autoriser leur libre circulation au bénéfice des entreprises, des chercheurs et des administrations publiques dans des domaines cruciaux (dans les secteurs de la santé, l’environnement, l’énergie, l’agriculture, la mobilité, les finances, l’industrie manufacturière, l’administration publique…). La proposition de règlement est ouverte aux contributions jusqu’au 1er février 2021.

Les deux premières propositions de règlement seront examinées prochainement par le Parlement européen et les Etats membres dans le cadre d’une procédure législative ordinaire. S’ils sont adoptés, les règlements seront directement applicables dans toute l’UE6.

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Cartel à l’achat dans le secteur de l’éthylène

Dans une décision récente7 à la suite d’une dénonciation de l’un de ses membres qui, de ce fait, a échappé à toute sanction, la Commission a condamné les autres membres d’un cartel à l’achat sur le marché de l’éthylène à une amende de 260 millions d’euros pour s’être entendus et avoir échangé des informations sur les prix d’achat.

D’une façon générale, les rapprochements à l’achat sont vus de façon positive par les autorités de concurrence, mais pour autant ils n’échappent pas aux règles de l’article 101 TFUE.

La décision note d’ailleurs la « récente pratique de la Commission concernant les ententes en matière d’achat ». Ce type d’entente à l’achat avait déjà fait l’objet de sanction en 2017 dans le cartel sur le recyclage des batteries automobiles8.

En marge de cette décision, la Commissaire Margrethe Vestager a précisé que « [l]es règles de concurrence de l’UE interdisent non seulement les ententes relatives à la coordination des prix de vente, mais aussi les ententes relatives à la coordination des prix d’achat. Cela permet de protéger la concurrence pour les intrants »..

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En France

L’ADLC met la priorité sur le numérique

L’Autorité de la concurrence, qui dispose depuis 2020 d’un service dédié, a annoncé qu’elle ferait de l’économie numérique sa priorité pour 2021.

Elle renforce son équipe avec l’arrivée d’Elodie Vandenhende en appui du directeur du service numérique.

Par ailleurs, Stanislas Martin est reconduit dans ses fonctions de rapporteur général de l’Autorité pour une durée de quatre ans.

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Deux décisions sur les regroupements à l’achat

Dans une décision n°20-D-139, dans laquelle l’équipe hw&h est intervenue, l ’Autorité de la concurrence a rendu la première décision en application du dispositif d’information dit « Macron » applicable au rapprochement à l’achat des distributeurs au détail10.

La décision concernait les accords conclus entre Metro, Schiever, Auchan et Casino. Ce rapprochement portait à la fois sur des achats de produits de marques nationales, des achats de produits MDD et de produits/services non marchands mais comportait également des accords sur des services internationaux.

L’Autorité a ensuite été amenée à statuer, dans le cadre du même dispositif et dans une décision n°20-D-2211, sur le rapprochement à l’achat de Carrefour et Tesco portant sur des achats de produits MDD et la vente de services internationaux.

Ce dispositif original12, modifié par la loi EGAlim13, combine à la fois une information ex ante qui s’apparente au contrôle des concentrations et qui doit désormais précéder de 4 mois la mise en œuvre des accords et une analyse ex post relevant de l’antitrust sous la forme d’une enquête ouverte pour un examen de potentielles restrictions de concurrence au sens des articles L.420-1/L. 420-2 du code de commerce et 101/102 du TFUE14. La procédure permet également l’adoption de mesures conservatoires, le tout sur saisine d’office.

L’obligation d’information à l’Autorité vise dans une définition assez floue « tout accord entre des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation, ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d’achat d’entreprises de commerce de détail, visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs ».

Dans le cadre de ces affaires, les services d’instruction ont été amenés à recueillir – pendant les deux années qu’a duré l’instruction – de très nombreuses informations de la part des distributeurs. Cette expérience a sans doute inspiré l’avis n°20-A-0215 rendu par l’Autorité portant sur la rédaction de l’article L.462-10 du code de commerce et de l’arrêté qui fixe désormais les informations qui doivent être communiquées au stade de l’information et du rapport16.

Le dispositif ainsi mis en place conduit – sur la base des préoccupations de concurrence qui pourraient résulter de l’analyse des services d’instruction – à homologuer des engagements des distributeurs, après une phase de négociation et de test de marché.

Un suivi de ces engagements par un mandataire et un contrôle ultérieur des effets de tels accords sur le marché découlant de la faculté laissée à l’Autorité ou au Ministre de l’Economie de déclencher un bilan concurrentiel parachèvent le dispositif.

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La certification comme arme de concurrence

L’entreprise qui est titulaire d’une norme technique ou qui participe au processus d’élaboration de celle-ci peut prendre un avantage concurrentiel en échangeant des données obtenues à l’occasion d’une demande de certification d’un concurrent (grief n°1) ou en entravant l’arrivée d’un concurrent à l’occasion de la définition d’un référentiel technique (grief n°2).

Dans une décision n°21-D-01 du 14 janvier 202117, l’ADLC, après avoir été saisie par une entreprise s’estimant victime des agissements du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment délivrant des agréments techniques européens et des avis techniques sur l’aptitude de nouveaux matériaux à être utilisées dans la construction), d’un syndicat professionnel et d’une société du groupe Compagnie de Saint-Gobain, a rendu une décision de non-lieu.

Cette décision intervient à l’issue d’une procédure longue au point que l’on peut s’interroger sur le jeu de la prescription de l’article L.462-7 al.3 du code de commerce déclarée acquise en toute hypothèse lorsque l’Autorité statue plus de 10 ans après la cessation des faits ayant donné lieu à la saisine (sauf recours contre les opérations de visite et saisies).

L’Autorité a considéré au titre du premier grief que les données échangées n’étaient pas sensibles au sens du droit à la concurrence. Par ailleurs, s’agissant du deuxième grief, les différents éléments de preuve ne permettaient pas de démontrer l’existence d’un plan d’ensemble visant à entraver l’entrée d’une innovation concurrente sur le marché des produits d’isolation thermique. L’Autorité a également estimé que, prises isolément, les pratiques constatées ne constituaient pas, en raison de leur caractère unilatéral, une entente.

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En Allemagne

Le parlement vient d’adopter la 10ème réforme de sa loi contre les restrictions de concurrence

Tandis que l’Union européenne réfléchit à des nouveaux instruments de concurrence18, le législateur allemand tente de répondre aux défis actuels du droit de la concurrence par un projet législatif ambitieux : une 10ème réforme de sa loi contre les restrictions de concurrence (le « GWB »), entrée en vigueur le 19 janvier 2021.

La réforme repose sur trois piliers :

L’Autorité allemande de concurrence (le Bundeskartellamt) face aux défis présentés par les marchés numériques 
L’élément central du nouveau règlement est le nouvel article § 19 a du GWB. Il permet au Bundeskartellamt de constater l’impact prépondérant sur la concurrence d’une entreprise active sur des marchés multifaces. Sur cette base, l’autorité pourra ensuite interdire un certain nombre de pratiques restreignant la concurrence que pourrait par exemple commettre une plateforme numérique.

Les règles relatives à l’abus de position dominante ont également été adaptées au regard du pouvoir grandissant de ces plateformes. Le « pouvoir d’intermédiation », caractéristique de celles-ci, est désormais reconnu comme critère déterminant de la position dominante d’une entreprise. Le refus d’accès, opposé à une entreprise, à des données nécessaires pour exercer son activité sur un marché en amont ou en aval a, par ailleurs, été ajouté à la liste des comportements abusifs.

Le droit du contrôle des concentrations allégé
En droit des concentrations, les seuils de chiffre d’affaires réalisé en Allemagne ont notamment été relevés : le premier passe de 25 à 50 Mio. € pour une entreprise concernée par l’opération tandis que le second passe de 5 à 17,5 Mio. € pour une autre entreprise concernée. L’objectif de cette mesure est de décharger le Bundeskartellamt de l’examen d’un certain nombre de transactions de petite taille, afin de lui permettre de se concentrer sur les cas réellement problématiques.

La directive européenne ECN+ transposée en droit allemand
La réforme a également permis de transposer la directive ECN+ en droit national. Dans ce contexte, les pouvoirs d’enquête du Bundeskartellamt ont été révisés et le programme de clémence (auparavant prévu par des lignes directrices) a été inséré dans la loi.

Nous attendons maintenant les premières décisions du Bundeskartellamt sur la base de ces nouvelles règles. Mais il semble d’ores et déjà que l’autorité n’hésite pas à se servir des nouveaux outils mis à sa disposition : le Bundeskartellamt vient d’élargir une enquête contre Facebook afin de traiter l’affaire également sous l’angle du nouvel article § 19 a du GWB19.

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Et chez hw&h

Publication

 

Dominique Heintz et Marion Lécole ont publié en collaboration avec le professeur Marie Malaurie-Vignal un article dans le numéro spécial pour les 30 ans de la revue Contrats Concurrence Consommation intitulé « Comment appréhender les abus et l’utilisation des données dans la relation d’une plateforme avec ses partenaires contractuels ? »20.

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Webinaire

L’équipe organise en février un nouveau Webinaire sur le thème « Droit de la concurrence et benchmarking ». Les personnes intéressées peuvent s’inscrire à l’adresse suivante hwh@hwh-avocats.com


  1. Shaping Europe’s Digital Future https://ec.europa.eu/digital-single-market/en []
  2. Voir la proposition de règlement en date du 15/12/2020 : Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on a Single Market For Digital Services (Digital Services Act) and amending Directive 2000/31/EC https://ec.europa.eu/newsroom/dae/document.cfm?doc_id=72148 []
  3. Voir la proposition de règlement en date du 15/12/2020 : Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on contestable and fair markets in the digital sector (Digital Markets Act) https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/proposal-regulation-single-market-digital-services-digital-services-act_en.pdf []
  4. « Il s’agit de plateformes qui ont une forte incidence sur le marché intérieur, qui constituent un point d’accès important des entreprises utilisatrices pour toucher leur clientèle, et qui occupent ou occuperont dans un avenir prévisible une position bien ancrée et durable. Cette situation peut leur donner le pouvoir d’agir en tant que régulateurs privés et de constituer des goulets d’étranglement entre les entreprises et les consommateurs. » Communiqué de presse de la Commission, 15/12/2020, QANDA/20/2349 []
  5. Voir la proposition de règlement en date du 25/11/2020 : Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on European data governance (Data Governance Act) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52020PC0767 []
  6. Communiqué de presse de la Commission, 15/12/2020, IP/20/2347 []
  7. Décision du 14 juillet 2020 de la Commission, Affaire AT. 40410 – Ethylène []
  8. Décision de la Commission du 8 février 2017, Affaire AT. 40018 – Recyclage de batteries automobiles []
  9. Décision n° 20-D-13 du 22 octobre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire par les groupes Auchan, Casino, Metro et Schiever []
  10. Article L. 462-10 du code de commerce []
  11. Décision n° 20-D-22 du 17 décembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire par les groupes Carrefour et Tesco []
  12. Article précité L. 462-10 du code de commerce []
  13. Article 19 de la Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous []
  14. Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne []
  15. Avis n° 20-A-02 du 13 février 2020 relatif au contenu du dossier d’information et du rapport prévus à l’article L. 462-10 du code de commerce []
  16. Arrêté du 9 septembre 2020 relatif au contenu du dossier d’information et du rapport prévus à l’article L. 462-10 du code de commerce []
  17. Décision n° 21-D-01 du 14 janvier 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des isolants thermiques []
  18. Voir notamment les projets de Digital Market Act, Digital Services Act et Data Governance Act susmentionnés []
  19. https://www.bundeskartellamt.de/SharedDocs/Meldung/DE/Pressemitteilungen/2021/28_01_2021_Facebook_Oculus.html?nn=3591568 []
  20. https://www.lexis360.fr/Document/droit_de_la_concurrence_comment_apprehender_les_abus_et_lutilisation_des_donnees_dans_la/OLTCLCqEbFq_jwEKaTvxPLDMJ1KBH3qLHaunkRlx7RM1?data=c0luZGV4PTImckNvdW50PTIm&rndNum=2579921121&tsid=search1 []