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Concurrence, distribution, consommation

Concurrence Distribution Consommation n°1/2022

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En France

Droits voisins : L’Autorité de la concurrence soumet les propositions d’engagements de Google à un test de marché

Notre Newsletter Concurrence Distribution Consommation n°4/2021 abordait les décisions de mesures conservatoires prononcées par l’Autorité de la concurrence (ADLC) à l’encontre de Google dans le cadre de l’affaire relative aux droits voisins.

Parallèlement à la procédure de mesures conservatoires, l’ADLC a poursuivi l’instruction au fond du dossier.

Dans une évaluation préliminaire, l’ADLC a considéré que Google a (i) imposé des conditions de transaction inéquitables et discriminatoires à des éditeurs de presse et (ii) contourné la loi sur les droits voisins.

En réponse à ces préoccupations de concurrence, Google a proposé plusieurs engagements pour une durée de 5 ans et sous le contrôle d’un mandataire indépendant :

  • Google s’engage à négocier de bonne foi, avec les agences et éditeurs de presse qui en feraient la demande, la rémunération due pour toute reprise de contenus protégés sur ses services conformément aux modalités prévues par l’article L.218-4 du code de la propriété intellectuelle et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires.
  • Google s’engage à communiquer aux éditeurs de presse et agences de presse les informations prévues par l’article L.218-4 du code de la propriété intellectuelle et permettant une évaluation transparente de la rémunération proposée par Google.
  • Google s’engage, dans les trois mois suivant le début des négociations, à faire une proposition de rémunération.
  • Dans l’hypothèse où les parties ne parviendraient pas à un accord, les parties négociantes auront la possibilité de saisir un tribunal arbitral chargé de déterminer le montant de la rémunération. Google s’engage à prendre en charge les honoraires des arbitres et de la procédure d’arbitrage en première instance.
  • Google s’engage à prendre les mesures nécessaires pour que les négociations n’affectent ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés.
  • Google s’engage à prendre les mesures nécessaires pour que les négociations n’affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs de presse et agences de presse.

Le 15 décembre 2021, l’ADLC a lancé un test de marché afin de déterminer si ces propositions d’engagements répondent de façon appropriée aux préoccupations de concurrence exprimées.

Les tiers intéressés pouvaient présenter leurs observations jusqu’au 31 janvier 2022.

Au terme du test de marché, l’ADLC déterminera s’il y a lieu de clôturer l’affaire et de rendre ces engagements obligatoires ou bien de poursuivre la procédure d’instruction.

A suivre et à comparer avec les solutions allemandes (v. infra) !

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OVS : Le premier président de la cour d’appel doit vérifier l’existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant l’autorisation des opérations de visite et saisie sans devoir, à ce stade de la procédure, qualifier les pratiques dénoncées

Dans trois arrêts rendus le 4 janvier 2022 (affaires n°20-83.813, n°20-83.815 et n°20-83.817) la Chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur les opérations de visite et saisie (ci-après les « OVS ») dans les locaux de plusieurs entreprises du secteur de l’équarrissage.

Les entreprises concernées ont, par le biais de cessions croisées de fonds de commerce assorties de clauses de non-concurrence, créé des zones géographiques d’exclusivité d’intervention réservée à chacune d’entre elles.

Les entreprises en cause ont également simultanément augmenté des tarifs de collecte de sous-produits au détriment des clients des prestations d’équarrissage.

Le rapporteur de l’ADLC a sollicité le juge des libertés et de la détention (ci-après le « JLD ») afin que soit procédé à des OVS dans les locaux de ces entreprises soupçonnées d’entente. Le JLD a autorisé des OVS qui se sont déroulées en mai 2017.

Les entreprises en cause ont ensuite exercé un recours contre l’ordonnance d’autorisation des OVS et contre leur déroulement.

Le délégué du premier président de la Cour d’appel de Versailles a confirmé les ordonnances du JLD autorisant les OVS. Les entreprises visitées ont chacune formé un pourvoi en cassation contre les ordonnances du premier président de la cour d’appel.

Les entreprises de l’équarrissage ont fait valoir que les cessions d’actifs et de fonds de commerce relèvent du droit des concentrations et ne constituent pas une pratique d’entente, de sorte que l’autorisation des OVS reposait sur une base légale inapplicable rendant illicite les mesures ordonnées.

Elles soutenaient également qu’il appartenait au délégué du premier président de la cour d’appel de qualifier les pratiques en cause et de rechercher si elles ne relevaient pas en réalité d’une opération de concentration.

Ce dernier s’est déclaré incompétent pour déterminer si les faits sur lesquels était fondée la demande d’autorisation des OVS relevaient d’une pratique d’entente ou d’une opération concentration en raison de la compétence exclusive de l’ADLC, que lui confère l’article L.430-3 du code de commerce, pour examiner les opérations de concentration.

La Cour de cassation a estimé que le premier président a justifié sa décision, en précisant également que le JLD devait seulement vérifier l’existence des indices laissant paraître des faisceaux de présomptions d’agissements prohibés justifiant que soit recherchée la preuve au moyen d’une OVS.

Selon la Cour de cassation, l’existence éventuelle d’une concentration ne saurait exclure la saisine du JLD sur le fondement de l’article L.450-4 du code de commerce, ni l’article L.450-1 qui traite des pouvoirs d’enquête ni l’article L. 461-4, qui définit la compétence de l’ADLC et qui renvoient l’un et l’autre aux titres II et III de ce même code, n’opérant de distinction à cet égard.

Il appartenait donc au premier président de la cour d’appel de vérifier l’existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée sans être tenu, à ce stade de la procédure, de qualifier les pratiques dénoncées, notamment au regard des articles L.420-1 et L.430-1 du code de commerce.

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En Allemagne

Google et le Bundeskartellamt – le premier cas « d’impact prépondérant sur la concurrence » d’une entreprise confirmé par l’autorité de la concurrence allemande

Depuis le 19 janvier 2021, date à laquelle la 10e réforme de la GWB (la loi allemande contre les restrictions de concurrence) est entrée en vigueur (voir notre News du 7 mai 2021), le nouveau § 19a de la GWB, destiné à contrôler le pouvoir des „gatekeepers“ sur les marchés numériques, est désormais applicable. Le Bundeskartellamt (l’autorité de la concurrence allemande) est ainsi habilité à identifier, parmi les entreprises ayant une activité sur un marché multiface, celles qui ont une position clé sur différents marchés et un impact prépondérant sur la concurrence. Ces entreprises peuvent alors se voir interdire certains comportements potentiellement anticoncurrentiels, énumérés dans le § 19a de la GWB. La mise en œuvre de cette disposition se déroule donc en deux étapes : dans un premier temps, le Bundeskartellamt doit constater l’impact prépondérant de l‘entreprise. Dans un deuxième temps, il peut procéder à l’interdiction d’un des comportements énumérés.

Le Bundeskartellamt n’a pas hésité à faire usage de cette nouvelle disposition immédiatement après son entrée en vigueur : plusieurs procédures ont déjà été engagées sur la base du § 19a de la GWB, toutes contre des entreprises bien connues du secteur des nouvelles technologies, à savoir Facebook (devenue Meta), Amazon, Apple et Google (voir notre Newsletter Concurrence Distribution Consommation n°3/2021).

  • Des services performants et une base de données impressionnante – l’impact prépondérant sur la concurrence de Google

Dans une de ces procédures, l’autorité allemande a désormais finalisé la première étape et a constaté l’impact prépondérant sur la concurrence de Google et de sa société mère Alphabet1.

A cette fin, le Bundeskartellamt a d’abord identifié l’activité de Google sur un marché multiface, condition de base pour l’applicabilité du § 19a de la GWB. En premier lieu, c’est le moteur de recherche Google, proposé gratuitement aux utilisateurs et financé par de la publicité, qui constitue une telle activité. Ensuite, le Bundeskartellamt a pris en compte plusieurs indicateurs révélateurs d’un impact prépondérant sur la concurrence, notamment :

  • la position dominante (part de marché supérieure à 80 %) de Google sur le marché allemand des moteurs de recherche,
  • la position forte de Google sur plusieurs autres marchés, notamment celui du marketing pour la publicité en ligne,
  • le nombre important de prestations ayant beaucoup d’utilisateurs, comme YouTube, Android ou Chrome,
  • le « caractère infrastructurel » de ses services, incontournables pour d’autres entreprises souhaitant d’accéder à la base d’utilisateur des prestations de la maison Google,
  • l’accès exceptionnel aux données d’utilisateurs pertinentes pour la position de Google vis-à-vis de ses concurrents, et
  • l’énorme puissance financière de Google.

D’après le Bundeskartellamt, cette position stratégique de Google sur plusieurs marchés lui permettrait d’imposer ses propres règles et conditions à d’autres entreprises et d’agir hors les contraintes imposées par la libre concurrence sur le marché.

  • Des clauses défavorables et discriminatoires ? – Un service pour les éditeurs de presse remis en question dans le cas de Google News Showcase

Ce constat de l’impact prépondérant sur la concurrence de Google est valable pendant cinq ans (§ 19a al. 1-2 de la GWB), période durant laquelle le géant du numérique sera soumis à la surveillance qualifiée du Bundeskartellamt. Concrètement, ce dernier est désormais habilité à lui interdire certains comportements potentiellement anticoncurrentiels. A cet effet, l’autorité s’est déjà mise au travail et a lancé des enquêtes concernant

  • le traitement des données effectué par Google2 ainsi que
  • le service « Google News Showcase »3.

Google News Showcase est un service destiné aux éditeurs de presse leur permettant d’encadrer et de faire ressortir leurs contenus dans un « story-panel » sur les sites de Google News et de Google Discovery. Lors de son enquête sur ce service, le Bundeskartellamt cherche à identifier

  • un traitement préférentiel des propres services de news de Google,
  • l’utilisation de conditions contractuelles défavorisant les éditeurs de presse, notamment en ce qui concerne l’exercice de leurs droits d’auteur4 ou
  • un traitement discriminatoire des éditeurs concernant les conditions d’accès à Google News Showcase.

Faisant suite au constat de l’impact prépondérant de Google sur la concurrence, l’entreprise a déjà réagi en proposant des mesures susceptibles de balayer les réserves du Bundeskartellamt. Ainsi, Google promet de modifier ses contrats pour Google News Showcase et d’utiliser des clauses équitables et objectives, sans priver les éditeurs de la jouissance de leurs droits. L’autorité allemande est en train d’examiner ces propositions et prévoit à ce fin la consultation des acteurs du secteur de la presse5.

  • Le § 19a de la GWB fait ses preuves – le Bundeskartellamt face aux grands joueurs du monde numérique

Le dossier de Google News Showcase démontre, étant le premier de son type, que le nouveau § 19a GWB pourrait devenir un outil puissant de la surveillance préventive en matière d’abus de position dominante. En effet, le seul fait de constater l’impact prépondérant sur la concurrence est susceptible d’amener une entreprise à vérifier elle-même son comportement sur le marché avant même d’avoir fait l’objet d’une interdiction de la part du Bundeskartellamt. L’efficacité pratique de cette nouvelle disposition de la GWB sera à nouveau éprouvée dans des dossiers actuellement en cours de traitement, sur les autres géants majeurs du secteur numérique – Amazon, Apple et Meta (Facebook).

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Du côté de Bruxelles

Les projets de Digital Markets Act et de Digital Services Act adoptés par le Parlement européen

Le 15 décembre 2021 le Parlement européen a donné son accord sur le projet de règlement sur les marchés numériques (le Digital Markets Act).

Le Parlement a également adopté le 20 janvier dernier une version amendée du projet de règlement sur les services numériques présenté par la Commission européenne.

Les deux textes approuvés constituent le mandat pour la négociation du Parlement avec les gouvernements des États de l’Union européenne, qui se déroulera sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne au cours du premier semestre 2022.

  • DMA

Le Digital Markets Act dresse une liste noire de certaines pratiques adoptées par des grandes plateformes qui se comportent comme des « contrôleurs d’accès » (les gatekeepers) et permet à la Commission européenne de mener des enquêtes de marché et d’appliquer des sanctions (voir notre newsletter Concurrence – Distribution -Consommation n°1/2021).

Une proposition de règlement a été publiée par la Commission européenne le 15 décembre 2021 et adoptée par le Parlement européen, avec quelques amendements.

La version du règlement qui a été adoptée par le Parlement :

  • augmente les seuils quantitatifs faisant entrer une entreprise dans le champ d’application de la DMA (i) de 6,5 milliards d’euros à 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel dans l’Espace économique européen (EEE) et (ii) de 65 milliards d’euros à 80 milliards d’euros au niveau de la capitalisation boursière ;
  • donne aux utilisateurs la possibilité de désinstaller à tout moment des applications logicielles préinstallées, telles que des applications, sur un service de plateforme de base ;
  • prévoit des restrictions concernant les « acquisitions prédatrices » (killer acquisitions): la Commission a la possibilité de restreindre les acquisitions des gatekeepers dans des domaines relevant de la DMA, afin de remédier ou de prévenir des atteintes au marché intérieur ;
  • clarifie le rôle des autorités nationales de concurrence tout en laissant la mise en œuvre de la DMA dans les mains de la Commission;
  • établit que si un contrôleur d’accès ne respecte pas les règles, la Commission pourra imposer des amendes allant jusqu’à 20% du chiffre d’affaires mondial, alors que l’amende maximum était fixée à 10% dans la proposition de règlement.
  • DSA

Le DSA a pour vocation de régir les obligations des services numériques qui jouent un rôle d’intermédiaire dans la mise en relation des consommateurs avec les biens, les services et les contenus.

Le DSA vise la mise en responsabilité des plateformes numériques au regard des risques significatifs qu’elles induisent pour leurs utilisateurs dans la diffusion de contenus et produits illicites, dangereux ou contrefaits.

Parmi les modifications apportées par les eurodéputés au texte de la Commission se trouvent notamment :

  • l’obligation pour les plateformes en ligne de s’assurer que les utilisateurs qui refusent de partager leurs données puissent toujours avoir d’autres options pour accéder aux services ;
  • des garanties plus strictes pour assurer (i) le traitement non arbitraire et non discriminatoire des notifications de retrait des contenus illicites et (ii) le respect des droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression ;
  • l’interdiction de la collecte des données utilisées à des fins de ciblage des mineurs ou de personnes vulnérables ;
  • l’introduction d’une procédure de dédommagement des usagers lésés par des plateformes.

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Et chez hw&h

Des nominations…

L’entrée de Maria Bagate et Aurélien Boucher comme associés depuis le 1er janvier 2022 renforce la capacité du cabinet à intervenir dans les problématiques de concurrence, de distribution et de consommation ainsi que dans les nouvelles technologies et la protection des données.

Cette arrivée répond parfaitement aux projets de la commission et de l’ADLC qui mettent concurrence et digital au cœur de leurs priorités.

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…et des colloques

Maria Bagate est intervenue le 3 février 2022 au cours  du colloque organisé par Madame Silvia Pietrini, Maître de Conférences à l’Université de Lille, sur le thème de « La négociation et l’organisation de la politique commerciale dans le secteur pharmaceutique ».

Dominique Heintz a contribué à l’organisation réussie du colloque proposé le 10 février 2022 par le barreau de Paris dans le cadre de la La Présidence française de l’Union européenne (PFUE) avec pour thème « L’avocat, acteur d’une Europe qui protège par le droit ».

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  1. Décision du 30 décembre 2021, voir le communiqué de presse et le dossier de l’affaire du Bundeskartellamt (n° B7-61/21) du 5 janvier 2022. []
  2. n° du dossier : B7-70/21 []
  3. n° du dossier : V-43/20 []
  4. Le « Leistungsschutzrecht für Presseverleger » (droit à la protection de l’œuvre des éditeurs de presse) protège les éditeurs contre la commercialisation non-autorisée de leurs contenus, notamment par des exploitants de moteurs de recherche. []
  5. Voir le communiqué de presse du Bundeskartellamt du 12 janvier 2022. []