Concurrence Distribution Consommation n°3/2018
- NewsletterNomination : Une nouvelle vice-présidente à l’Autorité de la concurrence.
Fabienne Siredey-Garnier vient d’être nommée vice-présidente de l’Autorité de la concurrence par décret du 8 mars 2018 en remplacement de Claire Favre dont le mandat venait à expiration.
Elle était jusqu’à présent vice-présidente du Tribunal de grande instance de Paris et présidente de la chambre spécialisée en matière économique et financière après avoir présidé la chambre du Tribunal de grande instance de Paris spécialisée en matière de presse. Elle a également exercé des fonctions au parquet comme substitut au Tribunal de grande instance d’Évreux.
Elle n’est de loin pas novice en matière de concurrence puisqu’elle avait traité des questions de concentration à la Commission européenne, et s’était intéressée aux professions réglementées lorsqu’elle était à la direction des affaires civiles et du sceau à la chancellerie. Elle a également été Rapporteur au conseil de la concurrence en 2008 et 2009.
Elle prendra ses fonctions le 16 avril 2018.
Distribution : Suite de la réforme du droit des contrats
Dans le flot continu des réformes, les ordonnances occupent une place particulière. On se souvient moins qu’après leur édiction, le Parlement doit encore les ratifier. L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 qui a réformé le droit des contrats n’échappe pas à la règle. Pour l’essentiel les réglages sont effectués après deux passages devant chacune des assemblées, il reste encore quelques débats devant la commission mixte paritaire.
Certaines adaptations ont un impact sur le droit de la distribution, en voici les principales:
- La définition du contrat d’adhésion (article 1110 al. 2) est modifiée.
L’ordonnance définissait le contrat d’adhésion comme un contrat « dont les conditions générales, soustraites, à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». La loi de ratification prévoit de définir le contrat d’adhésion comme un contrat « qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». Cette précision doit être mise en relation avec le contrat de gré à gré dont les clauses ne sont plus « librement négociées entre les parties » mais doivent être « librement négociables ». Ainsi le Code civil après la ratification mise sur la négociabilité des clauses pour distinguer le contrat de gré à gré du contrat d’adhésion. Si une clause est négociable mais qu’elle n’a pas effectivement été négociée, le contrat restera un contrat de gré à gré. Si le contenu du contrat est déterminé par un tiers et que les clauses sont négociables (même si les parties ne les négocient pas) le contrat devrait rester un contrat de gré à gré.
- Sur la culpa in contrahendo
L’article 1112 se voit enrichi d’une précision : la faute commise dans les négociations ne permet ni de compenser la perte des avantages attendus du contrat, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages. La loi de ratification limite ainsi clairement l’indemnisation de la victime d’une telle faute à l’intérêt négatif.
- La définition du dol (article 1137) est complétée.
Un alinéa précise que le fait de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation n’est pas un dol. Cette précision est bienvenue car elle recrée une cohérence avec l’obligation d’information en phase précontractuelle qui ne peut porter sur l’estimation de valeur d’une prestation. Il aurait été pour le moins choquant de pouvoir invoquer un dol lorsqu’un contrat est conclu et que le cocontractant n’a pas révélé son estimation de valeur alors qu’au titre de l’obligation d’information précontractuelle on n’aurait pas pu invoquer une faute.
- L’abus de l’état de dépendance (article 1143) est précisé.
Dans ce qui est communément appelé la « violence économique », qui est un type de violence qui ne se résume pas à un abus de dépendance économique, le cocontractant doit être dépendant à l’égard de son cocontractant. En d’autres termes, cet article ne permettra plus de viser tout état de dépendance, mais seulement celle à l’égard de celui qui commet l’abus. Cette précision unifie le droit civil et le droit commercial.
- La capacité des personnes morales (article 145 al. 2) est clarifiée.
Cette question soulevait des difficultés dans l’ordonnance en ce qu’elle précisait que leur capacité était limitée « aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires » puisqu’on sait que les sociétés de capitaux sont engagées à l’égard des tiers même par les actes qui dépassent leur objet social en raison d’une disposition européenne. Par ailleurs, en droit des sociétés c’est plutôt la conformité à l’intérêt social qui est un critère d’appréciation que l’utilité à l’objet social. C’est pour cette raison que la loi de ratification supprime cette précision. La capacité des personnes morales est simplement limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles. Le droit commun cède ainsi sa place au droit spécial.
- Sur le conflit d’intérêt d’un mandataire commun (article 1161 al. 1)
La disposition est limitée aux personnes physiques compte tenu du fait que le droit des sociétés dispose de règles propres permettant de gérer les conflits d’intérêts.
- Sur la fixation unilatérale du prix dans un contrat de prestation de services (article 1165)
Le juge pourra être saisi non seulement pour demander des dommages-intérêts mais également, pour prononcer la résolution du contrat, le cas échéant.
- Sur la cession de dette
La loi de ratification précise que, tout comme la cession de contrat et de créance, la cession de dettes devra intervenir par écrit sous peine de nullité (article 1327).
- Quels différends subsistent ?
La commission mixte paritaire devra se pencher sur la révision du contrat pour imprévision (article 1195). Le Sénat souhaite limiter le pouvoir du juge à la possibilité de mettre fin au contrat (et donc lui ôter le pouvoir de réviser le contrat) et rajouter un article explicite dans le Code monétaire et financier qui soustrait les opérations sur titres financiers et les contrats financiers à cet article.
De la même manière, le Sénat souhaite limiter le déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion (article 1171) aux clauses non-négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties alors que l’Assemblée nationale refuse une telle précision.
Il subsiste un différend rédactionnel entre le Sénat et l’Assemblée nationale. D’une part, l’exception à l’exécution en nature (article 1221) pour disproportion manifeste sera limitée au débiteur de bonne foi. D’autre part, en cas d’exécution imparfaite d’une prestation, il est précisé que le créancier peut réduire unilatéralement le prix dès lors qu’il n’a pas encore payé la totalité de la prestation. Il devra notifier sa décision dans les meilleurs délais au débiteur et la réduction devra être proportionnelle à l’inexécution. L’acceptation du débiteur de cette réduction du prix devra être rédigée par écrit. Enfin, si le créancier a déjà payé il devra demander la réduction du prix au juge à défaut d’accord entre les parties.
Enfin, il est prévu de préciser l’application dans le temps de l’ordonnance : ainsi la loi de ratification précise que l’ordonnance est applicable aux actes conclus à partir du 1er octobre 2016 « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ». Cette précision contribue à la sécurité juridique et devrait empêcher la jurisprudence d’appliquer les dispositions d’ordre public ou celles qui précisent les effets légaux d’un acte à ceux conclus avant le 1er octobre 2016.
Pour finir, la loi de ratification fixe son entrée en vigueur au 1er octobre 2018. Ainsi, les articles qui ont été modifiés, ne pourront s’appliquer qu’aux contrats conclus après cette date. Mais certains articles sont purement interprétatifs et devraient s’appliquer y compris aux contrats conclus auparavant.
Cela alourdit la lisibilité du droit transitoire puisqu’il faudra composer avec trois pans législatifs dans le temps.
Concurrence : Aucun secteur d’activité ni aucune zone géographique n’est à l’abri du droit de la concurrence !
On pouvait éventuellement s’attendre à des actions de l’ADLC à La Réunion, aux Antilles et à la Guyane…
En effet, les prix de produits pratiqués dans les départements, régions et collectivité d’outre-mer sont structurellement supérieurs de 20 à 50% à ceux de la métropole. Cette différence s’explique notamment par la très forte concentration des marchés, particulièrement dans le secteur de la grande distribution. C’est dans ce contexte qu’est née la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite loi « Lurel ».
Ce texte a tout d’abord renforcé les prérogatives de l’Autorité de la concurrence dans cette zone géographique, lui permettant par exemple d’enjoindre à une entreprise en position dominante de prendre des engagements si cette entreprise pratique des prix ou des marges élevés en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné.
Par ailleurs, le législateur a instauré un article L.420-2-1 du Code de commerce interdisant, à partir du 22 mars 2013, les accords ou pratiques ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise sur ces territoires.
…mais qui aurait pensé que le secteur des pièges à termites serait concerné ?
Et pourtant, dans la présente affaire (décision 18-D-03 du 20 février 2018, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à La Réunion, aux Antilles et en Guyane), l’Autorité a fait application de ces dispositions concernant la commercialisation de pièges à termite imbibés de biocides à la Réunion, aux Antilles et en Guyane.
Dow Agrosciences prévoyait dans ses contrats de distribution une clause par laquelle elle confiait l’importation et la commercialisation exclusive des pièges à un seul importateur-grossiste, respectivement la société Emeraude pour la Réunion et la société CTC pour les Antilles et la Guyane. Ces exclusivités avaient été maintenues plusieurs années après l’entrée en vigueur de l’interdiction instituée par l’article L.420-2-1 du Code de commerce.
Pour tenter d’échapper à une condamnation, Dow Agrosciences s’est appuyée sur l’article L.420-4 du Code de commerce prévoyant le mécanisme de l’exemption individuelle. Cette disposition permet d’échapper à une condamnation pour pratique anticoncurrentielle si les pratiques en cause sont justifiées par des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qu’elles réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte.
A cette fin, la société avançait que l’efficacité de ses produits supposait un contrôle permanent du producteur sur les entreprises installant et utilisant effectivement les produits, ce qui rendait nécessaire l’intervention d’un relais unique sur le territoire concerné. Ce contrôle serait justifié par le fait que l’usage des pièges suppose une formation et des certifications particulières ayant pour conséquence de garantir un niveau de sécurité optimal aux consommateurs.
L’Autorité écarte ces arguments, en affirmant que les entreprises mises en cause n’apportent aucun élément probant de nature à démontrer que les accords d’exclusivité permettent d’obtenir des garanties de sécurité allant au-delà des exigences de la règlementation en matière de biocide et que les clients finaux tirent un véritable bénéfice de cette pratique.
Les parties avaient également tenté de soutenir l’existence de baisses de prix résultant de l’exclusivité d’importation mais n’apportaient aucun élément concret au soutien de cette affirmation.
En outre, l’Autorité vient préciser que l’interdiction édictée par L.420-2-1 du Code de commerce n’avait pas vocation à s’appliquer aux seuls produits de grande consommation en relevant que (i) le Code de commerce ne limitait pas l’application de l’interdiction des exclusivités d’importation aux seuls produits de grande consommation, (ii) pas plus que les travaux parlementaires, et (iii) qu’enfin lorsque le législateur a souhaité circonscrire le champ d’application de la loi Lurel aux produits de grande consommation, il l’avait expressément mentionné.
Ainsi, l’Autorité enjoint Dow Agrosciences de supprimer les clauses litigieuses, d’informer l’ensemble des sociétés utilisatrices du produit de la suppression des clauses d’importation exclusives et la condamne, ainsi que les sociétés Emeraude et CTC, au paiement d’une sanction pécuniaire.
L’intérêt de cette décision est donc surtout de nous rappeler qu’aucun secteur d’activité ni aucun territoire de la République ne sont à l’abri des investigations de l’ADLC.
Procédure : La concurrence, une question de spécialistes
hwh a consacré un atelier aux mesures de collecte de la preuve qu’autorise l’article 145 du Code de procédure civile qui permet – avant tout procès au fond – d’obtenir des mesures d’instruction pour réunir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
C’est un moyen d’investigation qui a parfois été qualifié de « procédure de discovery à la française » particulièrement puissant qui permet – dans certains cas de façon unilatérale – d’obtenir par effet de surprise des preuves décisives détenues par un tiers.
Normalement, il est possible de solliciter l’autorisation du Président du tribunal qui sera ultérieurement compétent pour connaître la procédure au fond ou du Président du tribunal dans le ressort duquel la mesure d’investigation doit être réalisée.
Dans un arrêt du 17 janvier 2018 (Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 janvier 2018, n°17-10.360), la Cour de cassation est venue préciser que – dès lors qu’il s’agit de preuves qui pourraient avoir trait à un litige relatif aux pratiques restrictives de concurrence (article L.442-6 du Code de commerce) ou à une pratique anticoncurrentielle (article L.420-1 du Code de commerce) le juge compétent pour accorder l’autorisation doit être le Président d’une des juridictions spécialisées visées par les articles L.442-6 III et D.442-3 du Code de commerce à l’exclusion de toute autre juridiction.
Ainsi, en matière de pratiques restrictives de concurrence ou de pratiques anticoncurrentielles, même si le fondement de l’article L.442-6 ou L.420-1 du Code de commerce n’est pas le fondement exclusif sur lequel le litige pourrait être ultérieurement engagé au fond, la Cour de cassation réaffirme la compétence exclusive des juridictions spécialisées en matière de concurrence.
On ne peut que saluer le choix de la Cour de cassation qui souligne indirectement la spécificité du droit de la concurrence, le caractère prédominant de cette matière sur le droit commun et la nécessité d’en réserver le traitement à des spécialistes.