Adoption de la loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs dite loi « Descrozaille »
- A la uneEt une de plus ! Le 22 mars 2023, le texte de la loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs a été adopté définitivement par l’Assemblée nationale.
Les lois EGalim 1 et 2 qui ambitionnaient d’équilibrer les relations commerciales de la production jusqu’au stade final de la distribution ont successivement montré leurs insuffisances ; la loi nouvelle, que certains appellent déjà loi EGalim 3, a vocation à remédier à certains manques, à proroger certaines mesures provisoires et à mettre en place de nouvelles mesures expérimentales (à propos de l’absence d’accord sur la négociation avant le 1er mars). Elle étend d’un côté le périmètre des dispositions au-delà des produits alimentaires (tous les produits de grande consommation) et le réduit en excluant les grossistes du dispositif et en leur reconnaissant fort opportunément un statut spécifique dans la chaîne de distribution. Elle augmente encore la charge administrative entourant la négociation commerciale (des déclarations à transmettre à l’administration…), modifie les règles encadrant l’application des pénalités logistiques et confère enfin à l’ensemble des dispositions un statut d’ordre public et aux juridictions françaises une compétence exclusive en matière internationale pour les appliquer.
Cette loi s’inscrit dans un contexte économique particulier, le marché étant à la fois impacté par les effets de la crise sanitaire, de la guerre en Ukraine et la hausse généralisée des cours de nombreuses matières premières.
Comme les lois précédentes, elle vise à influer sur le rapport de force économique considéré par ses auteurs comme déséquilibré en faveur de la distribution et à préserver la souveraineté agricole, alimentaire et industrielle de la France. Saluée par les fournisseurs qui lui prêtent des vertus protectrices, elle est extrêmement critiquée par les distributeurs qui stigmatisent ses effets inflationnistes.
Voici plus en détail les principaux apports de la réforme :
L’article premier insère au titre IV du livre IV du Code de commerce un chapitre IV comportant un nouvel article L. 444-1 A (et non plus un article L. 443-9 comme envisagé antérieurement) qui prévoit que les dispositions des chapitres I, II et III du titre IV du Code de commerce sont d’ordre public et s’appliquent à toute convention conclue entre un acheteur et un fournisseur portant sur des produits ou services commercialisés sur le territoire français.
De plus, tout litige portant sur l’application de ces dispositions relève désormais de la compétence exclusive des tribunaux français, « sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France » et sans préjudice du recours à l’arbitrage.
Cet article vise ainsi à répondre à la pratique de délocalisation des négociations commerciales (voir notre newsletter n° 1/2023).
L’article deux prolonge le relèvement du seuil de revente à perte jusqu’au 15 avril 2025 et le dispositif d’encadrement des promotions à 34% en valeur et à 25% en volume jusqu’au 15 avril 2026.
Dans le même temps, les dispositifs d’évaluation de l’efficacité de ces deux mécanismes sont consacrés et pérennisés. Chaque distributeur sera désormais obligé de transmettre chaque année aux ministres de l’économie et de l’agriculture un document présentant la part du surplus de chiffre d’affaires enregistré par la revalorisation du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires et agricoles.
Concernant le relèvement du seuil de revente à perte, les fruits et légumes sont désormais exclus du dispositif qui s’était avéré préjudiciable pour les producteurs de cette filière, avec toutefois la possibilité pour le ministre de l’agriculture de fixer la liste de certains produits par arrêté pour lesquels le relèvement du seuil de revente à perte continuerait à s’appliquer.
L’article trois renforce les obligations de transparence et vise à faciliter le contrôle de l’Administration en obligeant à mentionner dans la convention unique relative aux produits de grande consommation, chacune des obligations réciproques (le fameux « ligne à ligne ») auxquelles se sont engagées les parties à l’issue de la négociation commerciale et leur prix unitaire.
L’article quatre étend l’interdiction de la discrimination commerciale qui n’est pas justifiée par des contreparties réelles et créant un désavantage ou un avantage dans la concurrence à tous les produits de grande consommation destinés à être revendus par les distributeurs et non plus seulement aux produits alimentaires.
A noter que le remplacement de la référence à l’article L. 443-8 du Code de commerce par l’article L. 441-4 de ce même Code indique que ce principe d’interdiction de la discrimination s’applique aux seules relations entre fournisseurs et distributeurs.
L’article six prévoit que dans les trois mois de la promulgation de la loi, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur la possibilité d’encadrer les marges des distributeurs sur les produits sous signe d’identification de qualité et d’origine (IGP, AOP, AB, Label rouge, etc.) afin qu’elles ne puissent être supérieures aux marges effectuées sur les produits conventionnels.
L’article sept étend le dispositif d’encadrement des promotions (jusqu’alors réservé aux denrées alimentaires et aux produits destinés à l’alimentation des animaux), aux produits de grande consommation au sens du I de l’article L. 441-4 du Code de commerce.
Cet encadrement des promotions à 34% en valeur et 25% en volume, applicable aux produits de grande consommation, en ce compris les produits de droguerie, parfumerie et d’hygiène (DPH), sera applicable à compter du 1er mars 2024.
L’article neuf innove à double titre à propos de la convention unique
En premier lieu, cette disposition applique dans l’article L. 441-4 du Code de commerce le principe de négociation de bonne foi de l’article 1104 du Code civil à la convention unique pour lui appliquer le régime d’une pratique restrictive de concurrence de l’article L. 442-1 du Code de commerce.
A noter que cette insertion à l’article L. 441-4 du Code de commerce en réduit la portée aux seules relations entre fournisseurs et distributeurs (et non à tous acheteurs) et aux seuls produits de grande consommation.
Désormais, celui qui ne mène pas de bonne foi les négociations commerciales conformément à l’article L. 441-4 du Code de commerce, ayant pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir prévue à l’article L. 441-3 du Code de commerce pourra voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article L. 442-1, I, 5° du Code de commerce.
En second lieu, et à titre expérimental pour une durée de trois ans, en l’absence de conclusion de la convention unique au plus tard le 1er mars, le fournisseur dispose du choix de :
- mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier ne puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale ; ou
- demander l’application d’un préavis conforme aux dispositions du II de l’article L. 442-1 du Code de commerce.
Dans la seconde hypothèse, il convient de noter que pour la détermination du prix applicable pendant la durée du préavis, le II du Code de commerce tient désormais compte des conditions économiques du marché sur lequel les parties opèrent.
Les parties peuvent également saisir le médiateur des relations commerciales agricoles ou des entreprises afin de conclure avant le 1er avril un accord fixant les conditions du préavis. Deux hypothèses doivent alors être distinguées :
- en cas d’accord sur les conditions du préavis, le prix convenu s’applique rétroactivement à compter du 1er mars ;
- en cas de désaccord, le fournisseur peut mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur sans qu’il ne puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale ou l’application d’un préavis.
L’article dix renforce la sanction en cas de non-respect de la date butoir du 1er mars pour conclure la convention unique applicable aux produits de grande consommation, en prévoyant une amende administrative pouvant aller jusqu’à 1 million d’euros pour une personne morale. Ce montant est doublé en cas de réitération dans les deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.
L’article onze modifie le régime des pénalités logistiques puisque l’article L. 441-3 du Code de commerce prévoit désormais que les obligations réciproques en matière de logistique, notamment le montant des pénalités et la détermination de leur montant feront l’objet d’une convention écrite entre fournisseurs et distributeurs, distincte de la convention unique et qui n’a pas à être conclue obligatoirement au 1er mars.
Par ailleurs, son arrivée à échéance ou sa résiliation n’entraînent pas la résiliation automatique de la convention unique.
L’article douze prévoit désormais que les pénalités infligées par le distributeur au fournisseur sont plafonnées à 2% de la valeur des produits commandés pour une même catégorie de produits. Ce même plafond sera applicable pour les pénalités infligées par le fournisseur au distributeur.
En outre, aucune pénalité ne pourra être infligée pour l’inexécution d’engagements contractuels datant de plus d’un an.
Enfin, en cas de situation exceptionnelle extérieure aux distributeurs et fournisseurs affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs, les pénalités pourront être suspendues pour une durée maximale de 6 mois renouvelable.
L’article treize exclut les grossistes du dispositif régissant les pénalités logistiques.
L’article quatorze prévoit que chaque distributeur doit communiquer annuellement, au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le montant des pénalités logistiques infligées et les montants perçus. De la même manière, chaque fournisseur doit communiquer dans les mêmes conditions le montant des pénalités qui lui ont été infligées et les montants versés.
Tout manquement à cette obligation de communication est sanctionné par une amende administrative allant jusqu’à 500 000 euros pour une personne morale et peut être doublé en cas de réitération.
L’article quinze fait désormais intervenir la certification du tiers indépendant également en amont de la conclusion de la convention unique en cas d’évolution du tarif du fournisseur.
L’attestation du tiers indépendant chargé d’attester la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles doit être fournie par le fournisseur au distributeur dans le mois suivant l’envoi de ses conditions générales de vente et non plus au terme de la négociation commerciale.
Cette attestation s’ajoute à l’attestation du tiers indépendant chargé d’attester en aval de la négociation que celle-ci n’a pas porté sur la part de l’évolution du tarif du fournisseur qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles.
L’article seize étend la sanctuarisation du prix des matières premières agricoles en les soustrayant de la négociation commerciale pour les produits de marque de distributeur (MDD) alors que ce dispositif était jusqu’alors réservé aux produits de marque nationale.
Par ailleurs, si le contrat portant sur la conception et la production de produits alimentaires vendus sous marque de distributeur porte sur une période de plus de douze mois, celui-ci doit fixer la date de renégociation annuelle pour tenir compte de l’évolution des prix des matières premières.
L’article dix-neuf sanctuarise le régime applicable aux grossistes dans le Code de commerce par la création des articles L. 441-1-2 et L. 441-3-1 qui leur sont exclusivement dédiés.
L’article vingt modifie l’article L. 441-8 du Code de commerce relatif à la clause de renégociation de prix dans les contrats portant sur la vente de produits agricoles et alimentaires afin de prévoir que le ministre chargé de l’agriculture peut, par arrêté, fixer la liste de produits pour lesquels cette clause ne s’applique pas.