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Médias et droit de la concurrence

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Trois affaires, particulièrement intéressantes du point de vue du droit de la concurrence, nous intéressent aujourd’hui dans le paysage médiatique français et allemand :

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En France

La vente de la chaîne de télévision française M6 par le groupe de médias allemand Bertelsmann

médias Bertelsmann

Le projet de rachat par le groupe de télévision français TF1 de la chaîne de télévision française M6 qui appartient au groupe de médias allemand Bertelsmann (RTL) devrait – s’il se concrétise – donner l’occasion à une intéressante analyse du secteur par l’Autorité de la concurrence à l’occasion du contrôle des concentrations.

TF1 est déjà le leader du marché français de la télédiffusion. Une concentration avec M6, concurrent sur le même marché national, augmenterait encore cette puissance. Par conséquent, l’Autorité de la Concurrence pourrait soit interdire l’acquisition soit ne l’autoriser que sous conditions. L’objectif de ces engagements serait d’empêcher les deux entreprises de télévision d’acquérir ensemble une position de force sur le marché français. Il est donc possible que l’Autorité de la concurrence exige que TF1 cède d’autres chaînes de télévision, d’autant que la loi audiovisuelle intègre un dispositif anti-concentration qui interdit à un groupe de détenir plus de 7 chaînes de télévision1).

Se pose également la question de la définition du marché pertinent qui permettra de définir le pouvoir de marché des entreprises concernées, mais également leurs concurrents. À l’heure où des plateformes telles que Netflix captent une partie des téléspectateurs, la question d’un marché plus global intégrant celles-ci peut se poser. Le 7 avril 2021, Nicolas de Tavernost, président de M6 et Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la Concurrence ont été interrogés devant le Sénat français sur les conséquences d’une éventuelle fusion. Bertelsmann a l’intention de prendre une décision finale sur le choix d’un acheteur dans les mois à venir.

On rappelle que le secteur de l’audiovisuel avait déjà été marqué par plusieurs décisions et notamment par :

  • celle portant sur la création de l’entreprise commune Salto par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision qui avait donné lieu à des engagements de la part des parties2; ou encore
  • la « saga » du rachat de TPS par Canal+ et Vivendi qui dure depuis 20063.

Une bonne occasion de s’intéresser au secteur.

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Concertation des distributeurs sur le calendrier de sortie des films : coup de projecteur sur l’avis n°21-A-03 de l’Autorité de la concurrence

médias et films

Le 16 avril dernier, l’Autorité de la concurrence a rendu son avis n° 21-A-03 relatif à une demande d’avis du Médiateur du cinéma sur les modalités de sortie des films en salle.

Cet avis, très attendu par les professionnels du secteur, intervient dans un contexte d’encombrement inédit des écrans lié aux périodes de fermeture ou d’accès réduit aux salles de cinéma en 2020 et 2021 en raison de la crise de la Covid-19. Le Médiateur du cinéma évalue le stock de films à 400, ce qui impliquerait un rythme de sortie de 50 à 60 films par semaine lors de la réouverture des salles, alors qu’en moyenne 14 films sortent chaque semaine depuis 2016.

Pour pallier cet encombrement, plusieurs distributeurs envisagent une concertation temporaire sur le calendrier de sortie des films.

C’est sur ce projet que l’Autorité a été amenée à se prononcer dans le cadre de l’avis n°21-A-03. À cet égard, nous rappelons que la saisine pour avis autorise uniquement l’Autorité de la concurrence à se prononcer sur des questions de concurrence d’ordre général et non sur le point de savoir si une pratique est contraire au droit de la concurrence.

En synthèse, l’Autorité considère qu’un tel accord temporaire peut constituer une entente anticoncurrentielle prohibée (i) mais que, dans le cadre d’un contentieux, il pourrait bénéficier d’une exemption individuelle si un certain nombre de critères sont réunis (ii).

(i) S’agissant du caractère anticoncurrentiel de l’accord, l’avis souligne d’abord que le secteur du cinéma est concerné par le droit de la concurrence et que l’existence d’une crise n’exclut pas la qualification d’entente anticoncurrentielle, ce qui est conforme à la pratique décisionnelle française et européenne4.

L’Autorité retient ensuite que l’accord entre distributeurs porterait sur un grand nombre de films et serait à ce titre susceptible d’affecter le commerce entre États membres.

Enfin, une restriction de concurrence par objet liée à une répartition du marché dans le temps, ainsi qu’une restriction de concurrence par effet liée à la difficulté éprouvée par les distributeurs ne participant à l’accord à diffuser leurs films, ne sont pas à exclure.

(ii) L’Autorité donne ensuite une grille d’analyse en 4 critères pour l’obtention de l’exemption individuelle :

  • L’accord doit promouvoir le projet économique, étant rappelé que l’Autorité a déjà retenu que les objectifs culturels pouvaient être admis à ce titre (Avis n°09-A650 du 8 octobre 2009) ;
  • L’effet de l’accord doit être au moins neutre du point de vue des exploitants de salle de cinéma et ne pas être préjudiciable pour les spectateurs ;
  • Les options alternatives (diffusion sur des plateformes de vidéo à la demande ou les chaines de télévision) doivent être insuffisantes au regard de la situation actuelle ;
  • La concurrence doit être préservée pour une partie substantielle de l’activité. À ce titre, l’Autorité invite les distributeurs à démontrer que la concertation est limitée dans le temps et qu’elle ne porterait que sur la date de sortie des films, la concurrence étant maintenue sur les autres paramètres (nombre d’établissements, nombre de copie des films, horaires des séances, négociations commerciales avec les exploitants de salles, etc.)

On peut saluer la clarté de cet avis qui donne aux distributeurs de ce secteur particulièrement touché par la crise sanitaire les clés pour parvenir à une solution utile sans encourir de sanction au regard de la concurrence. Il ne leur reste plus qu’à préciser les contours de leur accord sur la base de cette grille d’analyse, alors… Action !

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En Allemagne 

La coopération entre Google et le ministère fédéral allemand de la santé

médias google

La deuxième affaire se déroule dans le contexte de la crise du Coronavirus et de la fourniture d’informations fiables sur le thème de la santé. La société Google avait conclu une coopération avec le ministère fédéral allemand de la santé, qui prévoyait que le portail de ce dernier, « gesund.bund.de » (« en bonne santé » en Allemagne), apparaisse en tête de liste des résultats de recherche lors de la recherche de maladies sur Google. Le ministère souhaitait que les informations fournies par le site soient, par ce biais, facilement identifiables et accessibles pour les citoyens. En effet, le portail fournit entre autres des informations sur le coronavirus.

Toutefois, le groupe de médias Hubert Burda Media a contesté cette coopération devant les tribunaux. En effet, le groupe exploite également un portail de santé, « NetDoktor », et  considérait cette coopération comme un cartel inadmissible. Le Tribunal régional de Munich I5  a ainsi interdit provisoirement l’accord en jugeant qu’il s’agissait en fin de compte de créer ou préserver la diversité des médias et des opinions. Les fournisseurs privés financés par la publicité dépendent en effet du fait que leurs pages soient faciles à trouver et bien visitées. Or la coopération entre Google et le ministère avait déjà provoqué une baisse des clics sur « NetDoktor ». Google a interjeté appel contre la décision du Tribunal régional de Munich.

Parallèlement, l’autorité responsable du secteur des médias (Medienanstalt) du Schleswig-Holstein examine également l’affaire sous l’angle du droit des médias : elle étudie la question de savoir si la coopération constitue une discrimination inadmissible de la part d’un « intermédiaire des médias »6, conformément au § 94 du Medienstaatsvertrag (Traité sur les médias qui , pour mémoire, a pour objet d’unifier la réglementation des Länder en matière de médias, qui ne constitue pas une compétence fédérale). Il s’agit de la première procédure engagée contre un « intermédiaire des médias » depuis l’entrée en vigueur, en novembre 2020, du nouveau Medienstaatsvertrag entre les Länder allemands.

 

  1. Article 41 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard []
  2. Décision n° 19-DCC-157 du 12 août 2019 relative à la création d’une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision []
  3. Voir récemment la Décision de l’ADLC n° 17-DCC-92 du 22 juin 2017 portant réexamen des injonctions de la décision n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi SA et Groupe Canal Plus https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/lautorite-de-la-concurrence-modifie-le-dispositif-de-mesures-qui-avaient-ete []
  4. Voir par exemple Décision n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express, § 682 et Cour de justice de l’Union européenne du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, aff. C-209/07, §21 []
  5. Jugement du 10 février 2021 – 37 O 15720/20 ; 37 O 15721/20. []
  6. C’est-à-dire un service en ligne qui sélectionne, agrège et présente de manière généralement accessible les offres d’autres médias, sans les combiner dans une offre globale. []